Les inégalités de revenus s’accroissent entre les plus riches et les plus pauvres, mais aussi entre groupes d’âges. Au cours des vingt dernières années connues (1996-2016), nos calculs1 montrent que le niveau de vie des 18-29 ans a augmenté de 17 %, soit 2 700 euros annuels (après impôts et prestations sociales et inflation déduite). Pendant ce temps, le niveau de vie moyen annuel de l’ensemble de la population a augmenté de plus de 19 % (+ 3 200 euros) et celui des 65-74 ans de 22 % (+ 4 000 euros).

L’évolution longue est marquée par une cassure en 2002. A la fin des années 1990, toutes les catégories d’âge profitent de la reprise qui a lieu entre 1997 et 2001. A tel point que le niveau de vie des jeunes de 18 à 29 ans rattrape quasiment le niveau moyen global et celui des plus âgés. Toutes subissent le ralentissement de 2002. Les évolutions vont vraiment diverger à partir de ce moment là : le niveau de vie des plus âgés continue à progresser (+15 % entre 2002 et 2016) alors que celui des 18-29 ans stagne. Au cours des 14 dernières années, le niveau de vie annuel moyen des jeunes n’a augmenté que de 67 euros, contre 2 900 euros pour les 65-74 ans. La fracture est profonde.

Hausse de qualifications

Et encore, ces données minimisent les écarts. Au cours des dix dernières années, le niveau de qualification des plus jeunes a continué à progresser. Cet investissement éducatif ne semble avoir aucun effet, au moins en début de carrière : une partie de la jeunesse est déclassée. Un diplôme équivalent ne donne plus accès au même poste et au même niveau de vie. De plus, les plus jeunes subissent les effets de la hausse des prix du logement et en particulier des loyers : l’écart des niveaux de vie serait bien plus grand si l’on déduisait les charges de logement, notamment pour les jeunes qui vivent au sein des grandes villes. Une partie des plus âgés, propriétaires-bailleurs, détourne à son profit une partie de la croissance des niveaux de vie.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la hausse des inégalités entre les jeunes et les vieux. Tout d’abord, les 65-74 ans de 2016 sont nés au plus tard au milieu des années 1950. Ce sont les dernières générations d’avant crise, celles qui sont passées juste au bon moment2. Parmi elles, le taux d’activité féminin a nettement progressé : de plus en plus de femmes arrivent à l’âge de la retraite avec des carrières complètes (ou moins incomplètes) et disposent de revenus de plus en plus élevés. Ce n’est que pour ceux qui vont arriver ensuite que l’on pourra voir un effet sensible du chômage et de la précarité sur les niveaux de vie. Inversement, les 18-29 ans de 2016 se sont insérés en pleine morosité économique – la croissance est lente depuis 2001 – et ils le paient par des salaires en berne. Dans une période de vaches maigres, chacun défend ses intérêts bec et ongles. A ce jeu, malheur aux plus faibles, dont les jeunes, mal représentés, peu syndiqués.

Cette situation a des conséquences concrètes en termes d’accès à la consommation et au logement. Quand les plus âgés vivent de mieux en mieux, c’est bien moins le cas pour les plus jeunes. La conjugaison de statuts précaires et de stagnation des niveaux de vie rend particulièrement délicat l’accès au logement autonome : une partie des jeunes doit se contenter de colocation à des âges élevés ou de rester vivre chez leurs parents. Seule une minorité très favorisée peut se constituer un patrimoine, notamment en accédant à la propriété. Les inégalités se transmettent par ce biais dans le temps : une fois âgés, quand certains auront achevé de rembourser leurs emprunts immobiliers, d’autres verront leur niveau de vie réduit par le paiement d’un loyer, creusant ainsi les écarts de niveaux de vie.

Bien entendu, au sein des 18-29 ans les moyennes peuvent être trompeuses. L’insertion professionnelle des jeunes les moins diplômés – souvent issus des milieux ouvriers ou employés – n’a rien à voir avec celle des diplômés. A côté de formes variées de déclassement de ces derniers, il y a aussi l’absence de classement, qui fait « galérer » parfois des années avant de disposer d’un poste stable payé un peu plus que le minimum.

Ces 14 années de stagnation vont-elles laisser une trace sur le niveau de vie des jeunes ? Au fil du temps, la classe d’âge vieillit et les écarts entre les âges se transforment en écarts entre générations (voir notre article) qui sont durablement marquées. Comment vivront demain les 18-29 ans d’aujourd’hui ? Pour les plus jeunes, rien n’est jamais joué : on peut toujours attendre une reprise de l’activité. Mais le problème ne date pas d’hier. Toute une partie des générations nées à partir des années 1960-1970, déjà âgées, a connu une intégration sur le marché du travail en période de chômage de masse, bien plus rude que les précédentes. Pour elles, le rattrapage n’est plus envisageable.

Notes:

  1. Nous avons recalculé les séries pour tenir compte des changements de méthode de l’Insee en 2010 et 2012.
  2. Voir notre article sur les inégalités de niveau de vie entre générations