En 2070, la France devrait compter 22 millions de personnes de 65 ans et plus contre 13 millions aujourd’hui, selon l’Insee 1. Doit-on craindre un « grand remplacement » des jeunes par les vieillards ? L’intérêt des projections démographiques de l’Insee est surtout d’essayer de comprendre comment peut évoluer notre démographie.

La première chose à faire est de rapporter le nombre de personnes âgées à la population française. 2070, c’est loin et selon l’Insee la France aurait alors 76,4 millions d’habitants, soit 9,3 millions de plus qu’aujourd’hui. La part des 65 ans et plus dans l’ensemble de la population devrait passer de 20 à 29 %, ce qui demeure un mouvement important.

Cette évolution n’est qu’un « scenario » parmi d’autres, celui qui est dit « central » par l’Insee, c’est-à-dire avec des hypothèses moyennes, qui prolongent les tendances des vingt dernières années. Cela peut être un peu plus… ou un peu moins : l’Insee présente les données d’un scénario dit « population âgée », avec des progrès accrus en matière d’espérance de vie, et dit « population jeune », avec des progrès moindres de la durée de vie2. Selon les hypothèses, la part des 65 ans et plus oscillerait alors en 2070 entre 25 et 33 %. Dans un dernier scenario, avec une espérance de vie qui n’augmente plus, elle serait de 23,5 %. Rien ne permet de trancher, mais au cours des dernières années l’espérance de vie augmente moins vite (voir notre article). D’autres paramètres pourraient jouer, par exemple si notre pays se mettait à avoir un fort besoin en main d’œuvre comme dans les années 1950 et 1960 et se mettait à faire venir des immigrés en masse.

L’intérêt des projections de l’Insee est de mieux comprendre le fil des événements qui nous attendent3. Elles font apparaître une accélération du vieillissement de la population à partir du début des années 2010. C’est alors que les premiers enfants du baby boom, nés au milieu des années 1940, ont franchi la barre des 65 ans. L’effet est conséquent. Mais d’ici une vingtaine d’années, vers 2040, les choses vont changer : les baby-boomers auront alors tous plus de 65 ans. Le vieillissement deviendra beaucoup plus lent. Dans le scénario central, on passerait de 26 à 29 % de 65 ans ou plus en 30 ans, entre 2040 et 2070. Pour l’essentiel, la progression de la part des plus de 65 ans est la conséquence de l’exceptionnelle période du baby-boom et de l’amélioration de l’espérance de vie qui s’est déjà produite par le passé. On ressent 65 ans après l’onde de choc des enfants mis au monde à partir du milieu des années 1940. Vers 2040, on revient à une sorte d’équilibre.

Les données de l’Insee permettent d’entrer dans le détail des évolutions par âge pour les décennies qui viennent. Très vite, d’ici un ou deux ans, la part des 65-74 ans va se stabiliser. Au début des années 2020, tous les membres de cette tranche d’âge sont nés après le baby-boom : leur nombre n’augmente plus.. Vers 2031, on enregistrera le même effet pour les 75-84 ans mais avec une croissance lente jusque vers 2050. Pour les 85 ans et plus, les effets viendront bien plus tard, vers 2060. Dans les années qui viennent, c’est donc surtout la tranche des 75 ans et plus qui va occuper une part croissante de la population.

Nul doute que d’ici 2040 la France va se faire un peu de cheveux blancs. Il faudrait, pour inverser la tendance, soit une catastrophe sanitaire touchant les plus âgés, soit une forte poussée d’immigration et de naissances. Aucun de ces éléments ne paraissent être au programme. L’espérance de vie donne des signes de moindre croissance : si elle se stabilisait, ce n’est qu’en 2040 que le processus de vieillissement s’arrêterait.

Est-ce grave ? Il ne s’agit pas d’un choc mais d’un processus lent auquel on s’adaptera petit à petit. Il faut aussi comprendre que l’âge est une notion qui n’a que l’apparence de la stabilité dans le temps. Avoir 70 ans en 1970 et en 2020, ce n’est pas la même chose. En 2070 non plus. On a l’âge de ses artères et pour beaucoup de raisons, les artères des personnes âgées sont moins endommagées au fil des générations : on travaille moins, on adopte des modes de vie moins dangereux, les soins sont plus efficaces et accessibles, etc. Enfin, l’âge social change car les modes de vie évoluent : les grands-parents d’aujourd’hui, au même âge, n’ont plus les mêmes activités, le même rôle dans la société.

L’enjeu des décennies à venir est double. Il y a d’abord la question du financement des retraites, mais elle a déjà été pour une bonne part anticipée en élevant l’âge de départ. La question qui demeure est surtout la possibilité de vieillir dans de bonnes conditions, notamment pour ceux qui ont des revenus modestes. Les « nouvelles » personnes âgées, issues de la société de consommation, souhaiteront de plus en plus exercer des activités, notamment de loisirs, même à un rythme plus lent. Que leur proposera-t-on ? A quel prix ? Vieillir dans une société de consommation n’est pas simple et une partie du débat actuel sur le pouvoir d’achat des personnes âgées vient de ce phénomène, déjà en germe. La situation sera particulièrement marquée pour les personnes dépendantes. Le débat est déjà ancien, mais la question loin d’être réglée. Fera-t-on reposer le soutien des seniors sur les femmes4 de la génération suivante en particulier pour les familles qui n’ont pas les moyens d’avoir recours à des services marchands ? Si on souhaite qu’il n’en soit pas le cas, il faudra un investissement de la collectivité.

Notes:

  1. Cet article s’appuie sur les données publiées par l’Insee dans « De 2,8 millions de seniors en 1870 à 21,9 millions en 2070 ? », Nathalie Blanpain, in France Portrait social 2018, Insee, novembre 2018.
  2. Donc, une part relativement plus importante de jeunes.
  3. Voir notre article pour les évolutions antérieures.
  4. Dans leur immense majorité ce sont les femmes qui aident.