Sur longue période, le nombre de jours de grève décline en France. La tendance n’est pas facile à mesurer car les pouvoirs publics ont changé trois fois de manière de compter le nombre de jours de grève en cinquante ans, mais le mouvement est assez net. De 1975 à 1995 (premier graphique), le ministère du Travail prend en compte l’ensemble des « journées non travaillées », tous secteurs confondus. Au cours de cette période, elles ont été divisées par 4,5, de 3,5 millions à 800 000. De 1996 à 2004 (le secteur des transports n’est alors plus comptabilisé) on passe de 360 000 à 193 000 journées de grève. À partir de 2005 (second graphique), le ministère rapporte les journées de grève au nombre de salariés1. Le taux diminue de 160 journées de grève pour 1 000 salariés en 2005 à un peu plus de 60 pour 1 000 au début des années 2010. L’année 2010 elle-même est marquée par un pic important lié à la contestation de la réforme du système de retraites. Depuis le milieu des années 2010, le taux oscille entre 60 journées de grève pour 1000 salariés et 160 en 2019. Après une baisse en 2020 et 2021, l’année 2023 devrait être marquée par une remontée, encore une fois en raison du mouvement de protestation contre le projet de réforme des retraites.

De nombreuses raisons expliquent ce déclin. Le mouvement syndical français, très divisé, est en recul dans la société française. Seul un salarié sur dix est affilié à une organisation et même un sur douze dans le privé. Le déclin industriel joue : il est plus facile de s’organiser dans des grands établissements que dans le secteur des services souvent constitué de petites structures. Le maintien du chômage à un niveau élevé a réduit le pouvoir de négociation des salariés. Les nouveaux travailleurs payés à la tâche (livreurs, chauffeurs, etc.) n’ont que de très faibles moyens de lutte. Enfin, il n’est pas simple pour les salariés de supporter le coût des jours de grève dans un contexte de tensions sur les revenus.

La grève n’est pas pour autant en voie de disparition. Depuis une dizaine d’années, le nombre de journées non travaillées est plutôt stable, voire en hausse. La baisse du chômage entamée en 2015 redonne du pouvoir de négociation aux salariés. Les réseaux sociaux facilitent l’organisation des mouvements. Dans une partie des services, l’impact de la grève est souvent immédiat pour l’entreprise. Alors que les biens matériels peuvent se stocker et être vendus plus tard, une course non réalisée ou un repas dans la restauration rapide non consommé sont autant de chiffre d’affaires perdu.

Quand l’enjeu est important pour les salariés, les mobilisations le sont aussi, comme on l’a vu en 2010, 2019 et en 2023 au sujet des retraites. Le succès d’un mouvement peut exercer un phénomène d’entraînement. La contestation peut d’ailleurs s’exprimer par différents moyens : des pétitions, des campagnes d’information sur des réseaux sociaux, ainsi que par la manifestation de rue, comme l’a montré le mouvement des « gilets jaunes » de 2018-2019. De nouvelles formes d’organisations des revendications émergent, parfois moins structurées, mais pas forcément moins puissantes au fond. La question centrale est alors l’organisation des négociations et l’élaboration de compromis sociaux dans ce contexte d’émiettement syndical et d’une place importante de l’État dans notre société.

Photo : Gérald Garithan / Wikimedia Commons

Notes:

  1. Entreprises de plus de dix salariés uniquement. Y compris les transports.