Avant la crise du coronavirus, les Français sortaient de plus en plus pour aller au théâtre, à des concerts ou au cinéma. Le virus a stoppé net cet élan, qui était une tendance notable de notre société. En 1973, 6 % des adultes étaient allés au théâtre, 33 % avaient assisté à un concert ou un spectacle et 52 % s’étaient rendus au cinéma au moins une fois dans l’année. En 2018, les proportions étaient respectivement de 9 %, 43 % et 63 %, selon les données de la grande enquête sur les pratiques culturelles menée tous les dix ans environ par le ministère de la Culture. Pas plus que la télévision, l’essor des nouvelles technologies n’a empêché les Français de sortir de plus en plus. Seuls les concerts classiques et le cirque ont stagné au cours des cinquante dernières années. Pour les concerts de variété et le théâtre notamment, la progression est notable entre 1981 et 2018.

L’essor du « cinéma à la maison » n’a pas nui au 7e art qui demeure la sortie par excellence. Celle où l’écart entre les genres et les milieux sociaux est le moindre, même si 84 % des cadres supérieurs y sont allés au moins une fois dans l’année contre 64 % des ouvriers et employés (données 2018). Les 65 ans et plus vont moins souvent que les autres au cinéma (42 % a vu un film dans l’année) mais elle est trois fois plus importante qu’en 1981. Le développement des multiplexes en périphérie des villes, la production de « grands films » populaires a assuré le maintien de la fréquentation globale.

La fréquentation des théâtres a, elle aussi, progressé. Les 15-19 ans s’y rendent davantage (4 % en 1981, 14 % en 2018), pour l’essentiel dans un cadre scolaire. Le théâtre a aussi beaucoup progressé dans la tranche des 40-59 ans (de 5 % à 11 % pour la même période). Cette forme de spectacle vivant séduit deux fois plus les cadres (16 % y sont allés en 2018) que les employés et ouvriers (7 %). Mais le taux chute chez les premiers : ils étaient plus du quart à y être allés au moins une fois dans l’enquête menée en 1997.

Les sorties pour assister à un concert de variétés ont stagné des années 1970 à la fin des années 1990 autour de 10 %, mais leur fréquentation a repris depuis pour atteindre 15 % en 2018. Elles progressent parmi les catégories populaires et moyennes. Certains spectacles sont beaucoup plus élitistes que d’autres. C’est le cas des concerts de rock ou de jazz, dont la fréquentation a baissé dans la dernière enquête 2018 par rapport à celle 2008. Si 29 % des cadres supérieurs y sont allés au moins une fois dans l’année, c’est le cas de seulement 8 % des ouvriers et employés. Globalement, le spectacle vivant progresse surtout parce que les plus âgés s’y rendent davantage, comme pour le cinéma. Ainsi, par exemple, la part des 65-74 ans concernés est passée de 14 % en 1981 à 41 % en 2018. Les niveaux de vie des retraités augmentent ainsi que l’offre de sorties qui leur est proposée.

Pour le spectacle vivant et le cinéma, la concurrence due à la multiplication des écrans (ordinateurs, téléphones et tablettes) a été contrebalancée par de nombreux facteurs : progrès de la scolarisation, mobilité croissante, progression du temps libre et du pouvoir d’achat, surtout pour les plus âgés. En même temps, l’offre s’est accrue, notamment avec davantage d’équipements culturels dans des communes moins peuplées, le développement des infrastructures routières et la rénovation des salles de spectacle. Le ministère de la Culture note une « réduction significative des écarts d’âge et de territoire pour le spectacle vivant »1. Ce phénomène durera-t-il ? La crise du coronavirus a contraint une bonne partie des spectacles à s’arrêter ; nul ne sait quand on reviendra à une pratique normale et si les habitudes antérieures reprendront. Par ailleurs, certains effets favorables ne jouent plus. « Ce mouvement marque toutefois le pas pour les générations récentes, interrogeant la possibilité qu’une limite ait pu récemment être atteinte dans le développement cumulé des pratiques à domicile et des pratiques de sortie », analyse le ministère de la Culture. Temps libre et pouvoir d’achat sont en berne dans les catégories peu favorisées. Le « live » garde sa fonction spécifique, mais l’équipement à domicile progresse encore, les prix baissent et l’accès aux œuvres devient plus simple, de meilleure qualité et moins onéreux notamment avec la diffusion de films par abonnement (Netflix et autres). À terme, cela pourrait avoir un impact sur le cinéma et d’autres sorties, surtout si les précautions sanitaires durent dans le temps et éloignent certaines catégories de population des salles, notamment les plus âgés.

Notes:

  1. Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Philippe Lombardo et Loup Wolff, coll. Cultures études, ministère de la Culture, 2020.