Un seul graphique vaut parfois mieux qu’un long texte. Celui publié par le ministère de l’Éducation sur l’évolution des classes de fin d’études primaires et de collège1 raconte l’histoire du collège en France. Il fait clairement apparaître les différentes étapes de son unification et permet de comprendre les difficultés actuelles.

Source : Florence Defresne et Jérôme Krop, Education et formations n°191.

Le graphique reproduit l’évolution de la répartition des jeunes en âge d’être au collège selon les différentes filières. Une première chose apparaît quand on observe le haut du graphique : à partir du milieu des années 1970, l’effectif total est très stable. Une forte poussée de scolarisation a lieu dans les années 1960 jusqu’au milieu des années 1970. On passe de 2 à 3 millions d’élèves. En 1959, la réforme Berthoin rend la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans. Les catégories populaires, jusqu’alors massivement cantonnées à l’enseignement primaire, entrent dans la première partie du secondaire. A partir des années 1970, presque tous les enfants vont au collège.

Plusieurs phases vont marquer ce processus. Dans un premier temps, jusqu’au début des années 1970, on supprime les classes de fin d’études primaires (le rose sur le graphique disparaît) principalement réservées aux élèves de milieu modeste dont les parents n’avaient pas les moyens de financer des études plus longues2. On crée alors des classes « générales » de la 6e à la 3e (dans les collèges d’enseignement secondaire – les CES, créés en 1963) et des classes de « transition » de 6e et 5e puis « pratiques » de 4e et 3e dans les collèges d’enseignement général (CEG).

A partir du milieu des années 1970, deuxième étape, les filières sont unifiées (loi Haby de 1975), le bleu le plus clair disparaît progressivement de notre graphique. A la fin de la 5e, une partie des jeunes intègrent un collège d’enseignement technique (CET) qui deviendront des lycées d’enseignement professionnel (LEP). Les classes pré-professionnelles de niveau (CPPN) accueillent les élèves les plus en difficulté. Il existe aussi des classes préparatoires à l’apprentissage (CPA).

Une troisième étape a lieu au milieu des années 1980 (réforme Savary) avec la création des 4e et 3e technologiques (en bleu et points jaunes sur le graphique) qui doivent aboutir au lycée professionnel. Elles sont à leur tour peu à peu supprimées à la fin des années 1990.

Enfin, dans une quatrième phase, à partir du milieu des années 2000, le collège est quasiment unifié hormis un effectif très réduit d’élèves inscrits dans les sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa). Au fond, ce n’est que 20 ans après la loi Habby dite du « collège unique » que ce dernier est achevé.

Cette évolution répond à la fois à une aspiration de la population à accéder à un niveau supérieur de formation, mais aussi de l’économie à disposer d’une main d’œuvre mieux formée, qui doit, avant de se spécialiser, disposer d’un socle de connaissance plus conséquent. La durée de vie s’allonge et le contenu des savoirs s’étend : il est logique d’étendre le cursus général. C’est une tendance historique des sociétés contemporaines. Ce n’est plus à 11-12 ans que l’on choisit sa voie comme c’était le cas jusque dans les années 1950, mais à 15 ans. Ce changement est considérable. Toute une partie de l’enseignement est désormais ouverte aux milieux populaires, qui auparavant en étaient écartés.

Si les établissements ont été rénovés à partir des années 1980 avec la décentralisation, les contenus des enseignements et la pédagogie ont peu été modifiés. Le collège s’est « massifié » sans modifier en profondeur ses méthodes. Pourtant, on disposait de l’expérience des collèges d’enseignement général, qui présentaient un modèle pédagogique différent. Les années 1970 ont été un tournant : on unifie par le haut, en prenant comme modèle le lycée, plutôt que par le bas, dans la continuité de l’enseignement primaire. Avec de difficultés inévitables.

En outre, les moyens pour que les jeunes ne décrochent pas, qui devraient être mis en œuvre dès le primaire, ne sont pas à la hauteur du changement. Le chômage se maintient à un niveau élevé et progresse fortement à partir de la fin des années 2000, ce qui rend les choses encore plus difficiles. Le collège doit affronter les difficultés scolaires des élèves sans avoir les outils pour le faire, ce qui entraîne des tensions. L’obligation scolaire impose de maintenir au collège des jeunes qui ont parfois des lacunes dans les disciplines de base. Le redoublement n’est guère d’utilité : il est logiquement abandonné mais sans utiliser les moyens dégagés (les élèves restent moins longtemps à l’école) pour la lutte contre l’échec scolaire.

Il reste alors deux voies possibles. Soit on fait le constat de l’impossibilité de donner à tous un enseignement général jusqu’à 15 ans, notamment pour les jeunes issus de milieux modestes. On revient en arrière et l’on recrée les anciennes filières professionnelles pour les accueillir. Soit on estime que cet enseignement reste un objectif pour la société et une aspiration des élèves et leurs familles, et on se dote des moyens pour faire en sorte que l’ensemble des jeunes puissent acquérir le niveau escompté dès les plus petites classes.

Notes:

  1. Lire l’excellent article : « La massification scolaire sous la Ve République », Florence Defresne et Jérôme Krop, Education et formations n°191, septembre 2016.
  2. Ces classes constituent les restes de l’enseignement primaire supérieur en thérorie supprimé en 1941.