Être pauvre, c’est d’abord manquer d’argent. Pourtant, ne pourrait-on pas mesurer la pauvreté en fonction du niveau de diplôme ? Celui-ci est bien une forme de patrimoine. Certains sociologues parlent de « capital culturel ». Ce patrimoine se transmet comme la fortune : les enfants de diplômés sont beaucoup plus souvent diplômés eux-mêmes. Dans la société française, le titre scolaire est décisif dans la définition des positions sociales.

Il n’existe aucune définition de ce que l’on peut qualifier de « pauvreté scolaire ». Selon l’Insee, l’illettrisme1 concerne 7 % des personnes de 16 à 65 ans 2. Il s’agit de situations extrêmes, une sorte de « grande pauvreté » scolaire. On pourrait raisonner autrement, et considérer qu’on est pauvre d’un point de vue scolaire par rapport au reste de la population. Pour s’insérer dans l’emploi, on se situe bien, scolairement parlant, par rapport aux autres en fonction de son niveau de diplôme. C’est cette méthode qui est utilisée pour définir la pauvreté monétaire, en calculant un seuil par rapport au niveau de vie médian de la population. On pourrait donc imaginer une pauvreté scolaire relative, dépendante du niveau général de la population.

Comment faire ? On cherche à mesurer la part de la population qui se situe en dessous de la moitié du niveau de diplôme médian, en s’inspirant du mode de calcul de la pauvreté monétaire à 50 % du niveau de vie médian. On se heurte à un premier problème : on ne peut pas hiérarchiser un par un les individus, mais seulement par grands groupes de diplôme (le brevet des collèges, le CAP, le BEP, etc.). Il faut se contenter d’une observation approximative. Le niveau de diplôme médian se situe environ au niveau du BEP en 2021 (voir premier graphique) : c’est le diplôme maximum pour 48 % des Français. Le diplôme type des classes moyennes en France. Un deuxième problème surgit alors. Comme savoir ce que vaut « la moitié d’un CAP ou d’un BEP » ? Impossible à définir. On peut juste remarquer qu’un quart de la population dispose au maximum d’un niveau de fin de classe de troisième.

Ce type de calcul est critiquable. Selon l’âge, les enjeux ne sont pas les mêmes : après la retraite, la question de l’insertion professionnelle ne se pose plus. Par ailleurs, le niveau scolaire s’élève au fil des générations. On pourrait imaginer une mesure pour un âge donné : chez les 25-29 ans, le diplôme médian est le baccalauréat et un quart ont au mieux un CAP ou un BEP. Le niveau scolaire est un stock (comme le patrimoine monétaire) qui n’évolue que très rarement après la sortie du système éducatif. Enfin, en pratique, une partie de la population a peu de diplôme, mais elle s’est formée par l’expérience ou des formations non diplômantes. Le diplôme ne dit pas tout du niveau de formation.

Doit-on considérer l’illettrisme ou le niveau de fin de troisième comme un seuil de pauvreté scolaire ? Le calcul est complexe, et pourtant l’exercice a un sens. Dans des sociétés où avoir un diplôme et maîtriser des savoirs formels sont déterminants en matière d’insertion, en être exclu est bien une forme de pauvreté. On manque de travaux à ce sujet, alors que c’est impératif pour mieux comprendre les enjeux culturels de la société française. La France diplômée de l’enseignement supérieur long (supérieur à bac +2) n’est qu’une frange très minoritaire de la population : elle en représente 22 %, deux fois moins que ceux qui n’ont qu’au maximum le BEP. Les classes moyennes du diplôme ont entre le brevet des collèges et le bac, les plus pauvres au mieux le certificat d’études. Il existe un décalage entre la représentation de la société française chez les plus diplômés et sa réalité d’ensemble. Ce qui est sans doute l’un des éléments explicatifs de ses tensions actuelles.

Notes:

  1. Personnes scolarisées en France mais qui ne maîtrisent pas suffisamment les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul pour être autonomes dans la vie courante
  2. Voir « Pour les générations les plus récentes, les difficultés des adultes diminuent à l’écrit mais augmentent en calcul », Insee Première n°1426, décembre 2012.