La thèse selon laquelle les territoires seraient de plus en plus marqués socialement est très répandue. Malheureusement, on ne dispose pas d’étude générale et récente sur le sujet pour valider ou invalider cette analyse. Le sentiment de ségrégation spatiale est alimenté par la situation économique et sociale très difficile de certains quartiers des banlieues des grandes villes. Peut-on généraliser cette observation ?

Deux études sur le sujet montrent que la situation est plus complexe. Dans un travail sur les voisinages de taille réduite (1), l’économiste Eric Maurin conclut essentiellement à une ségrégation par le haut (2). « Contrairement à une idée reçue, les clivages territoriaux ne sont guère plus élevés qu’il y a vingt ans », écrit-il. « Si certains clivages tendent à se creuser aujourd’hui, ce n’est d’ailleurs pas tant entre quelques ghettos pauvres en perte de vitesse et le reste de la société, qu’entre les enclaves chics et les différentes fractions de classes moyennes qui fuient les cités déshéritées et restent aimantées par les quartiers bourgeois ».

La ségrégation consisterait donc d’abord dans l’embourgeoisement de certains quartiers, analyse confortée par une recherche sur les quartiers de la région parisienne (3) réalisée par le sociologue Edmond Préteceille : « la ségrégation la plus forte est d’abord celle des classes supérieures », indique-t-il. Rien de tel que l’effet de prix de l’immobilier élevés et de faibles constructions de logement sociaux pour repousser les catégories populaires. Le sociologue conclut pourtant au maintien d’une forte part de quartiers mixtes socialement, mais aussi d’une « minorité significative » de quartiers « prise dans un mouvement d’appauvrissement ». Son travail contredit la thèse « séparatisme généralisé » des catégories moyennes vis-à-vis des couches populaires qui fuiraient les grands ensembles vers le pavillon en périphérie des grandes villes.

Au bout du compte, le découpage social territorial et en particulier les quartiers dits « sensibles » sont souvent loin de la caricature que l’on peut en faire, comme le montre le sociologue Pierre Gilbert (4). Le rapport 2010 de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles constate d’ailleurs des tendances à l’amélioration de la situation sociale dans certains territoires (5). Principalement, ce sont les quartiers les plus riches qui se ferment aux couches sociales les moins favorisées. La périurbanisation n’a pas massivement dépeuplé les quartiers pauvres. Mais les moyennes sont trompeuses. Cela n’empêche que la situation d’un petit nombre de territoires les moins favorisés puisse devenir de plus en plus difficile, notamment du fait de la persistance d’un haut niveau de chômage.

 

(1) Un voisinage comporte en moyenne 17 salariés.

(2) Maurin, Eric. « Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social », coll. République des idées, Seuil, 2004.

(3) Préteceille, Edmond. « La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? », Sociétés contemportaines, n°62, 2006.

(4) Gilbert, Pierre. « « Ghetto », « relégation », « effets de quartier ». Critique d’une représentation des cités, Metropolitiques.eu, 9 février 2011.

(5) Observatoire national des zones urbaines sensibles, « Rapport 2010 », décembre 2010. Disponible sur http://www.ville.gouv.fr/