Qui se prive de quels biens ou de quels services dans notre société ? Tous les ans, l’Insee réalise une enquête statistique sur les revenus et les conditions de vie, qui n’est diffusée que très partiellement sur son site Internet. Un document de travail 1 publié en 2015 apporte quelques éléments d’information. On y apprend par exemple que 28 % des ménages déclarent ne pas avoir les moyens de partir en congés une semaine par an et 26 % remplacer des meubles, 13 % de s’acheter des vêtements neufs. Ces privations ont un impact sur les relations sociales : un dixième (six millions de personnes) ne pourrait recevoir des amis ou offrir des cadeaux. Une partie de la population n’a pas accès à des biens de base : 7,6 % disent ne pouvoir s’acheter deux paires de chaussures, 7,5 % manger de la viande tous les jours et 3,3 % n’auraient pas pris de repas pendant toute une journée pour des raisons financières au cours des deux dernières semaines.

Ces données, pourtant très souvent utilisées, semblent malheureusement assez fragiles, comme l’indique l’étude réalisée par l’Insee. Elles reposent sur des déclarations très subjectives. Ainsi l’indicateur « ne pas pouvoir avoir pris de repas pendant toute une journée faute d’argent », est très peu corrélé… au niveau de vie, selon l’Insee. On peut indiquer  à l’enquêteur de l’Insee ne pas avoir les moyens d’avoir deux paires de chaussures tout en s’offrant un téléphone dernier cri. Ces données reflètent mal les conditions de vie des ménages les plus démunis, dont les privations, de la nourriture aux loisirs, sont de niveau beaucoup plus important.

Enfin, comme l’a noté l’Observatoire des inégalités, tous les indicateurs sur les conditions de vie ou presque s’améliorent ou stagnent en pleine crise2. Le taux de pauvreté en conditions de vie, indicateur calculé par l’Insee à partir des données sur les privations (une personne est considérée comme pauvre à partir de huit restrictions sur une liste de 27), n’a pas bougé entre 2008 et 2013. De quoi mettre en doute sérieusement sa pertinence.

Si la notion de privation n’est pas en cause, sa mesure telle qu’elle est réalisée aujourd’hui pose problème. Il faudrait progresser dans de nombreuses directions. Etudier par exemple les privations de façon détaillée en fonction des niveaux de vie ou des milieux sociaux. Distinguer beaucoup plus finement la privation absolue des ménages dont les niveaux de vie sont les plus faibles. Comme le montrent par exemple les données de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, une partie de la population manque d’éléments de base : un toit, du chauffage, des sanitaires… Cette situation est aussi vraie en matière d’alimentation ou de vêtements. Il faudrait pouvoir également étudier d’autres formes de privation : dans l’accès aux soins, en matière de nouvelles technologies, de mobilité, etc.

La population française privée des biens matériels de base est bien moindre que ce qu’elle a pû être par le passé ou par rapport à d’autres pays. Moins d’1 % des logements ne disposent pas du confort de base par exemple. Mais la situation des personnes qui subissent ces privations est d’autant plus choquante que la France est l’un des pays les plus riches au monde. Un pays où, en tous cas, il existe un grand décalage entre l’ampleur du débat public sur la pauvreté et la connaissance précise de la population pauvre.

Notes:

  1. Voir : « Pourquoi l’indicateur de pauvreté en conditions de vie baisse malgré la crise économique ouverte en 2008 », Jean-Louis Pan Ké Shon, document de travail F1502, Insee, janvier 2015.
  2. Voir « En pleine crise, la pauvreté en condition de vie diminue selon les statistiques officielles« , Observatoire des inégalités, version du 4 septembre 2014.