Les inégalités de niveaux de vie, comme la pauvreté, sont-elles en voie de stabilisation en France ? C’est ce que tendent à montrer les données 2017 de l’Insee. Après une forte diminution en 2013, le rapport entre le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres stagne autour de 6,8. L’écart entre ces deux tranches de revenus se maintient autour de 48 000 euros par an. L’indice de Gini s’est lui aussi stabilisé autour de 0,29. Il est peu probable que les choses aient fortement varié depuis.

Un bémol doit être apporté à cet optimisme : en valeur absolue, l’évolution est un peu différente ces dernières années. Entre 2013 et 2017, le niveau de vie annuel des 10 % les plus pauvres a augmenté de 80 euros, et celui des 10 % les plus riches de 1 150 euros (après inflation). Pour 2018 et 2019, la baisse de l’imposition des revenus financiers1 va favoriser les catégories les plus aisées.

Prendre du recul

Une réouverture des écarts de revenus s’est amorcée vers la fin des années 1990 et surtout au milieu des années 2000, avant même la crise de 2008. Après des décennies de diminution (1970-1980), les inégalités de niveaux de vie se remettent alors à augmenter. D’abord par le biais de l’envolée des revenus des catégories aisées : entre 2003 et 2011, le niveau de vie moyen du dixième le plus riche a augmenté de 15 %, soit un gain de 8 000 euros l’an. Ensuite, par la baisse des revenus des 10 % les plus pauvres, dont le niveau de vie a perdu 500 euros annuels entre 2008 et 2012. On assistait alors à une profonde divergence.

La phase actuelle amorcée en 2012 marque-t-elle un retournement après une « décennie noire » (2001-2011) ? Deux hypothèses sont possibles. La stabilisation ne sera qu’une parenthèse si l’activité ne reprend pas durablement et qu’aucune mesure de redistribution des revenus n’est mise en place. L’exemple allemand montre qu’une diminution du chômage n’est pas incompatible avec une progression des inégalités si le travail n’est pas rémunérateur. On pourrait revenir d’ici une décennie à un niveau d’inégalités de revenus comparable à la situation des années 1970. Ce serait un retour en arrière pour la société française alors que les catégories de revenus se sont rapprochées depuis la fin des années 1960.

Inversement, une baisse du chômage assortie de garanties sur la qualité de l’emploi (salaire et statut) pourrait effacer assez vite les effets de la hausse des inégalités constatée depuis le milieu des années 1990. La modestie de la croissance économique depuis 2001 accroît les tensions : en période de vaches maigres, le conflit devient plus âpre pour le partage de la richesse. Pour l’heure, la balance penche en direction des plus favorisés (dérégulation du travail, baisses d’impôts sur les revenus financiers et réduction de l’impôt sur le patrimoine, baisse des allocations logement). Le plan pauvreté décidé l’an dernier ne contient pas de mesures d’ampleur de redistribution des revenus. Cependant, la hausse du minimum vieillesse et adulte handicapé (qui ne figurent pas dans le plan pauvreté) vont dans le bon sens. En outre, le mouvement des gilets jaunes a fait pencher la balance en direction des moins favorisés. L’élévation de la prime d’activité décidée cette année va notamment jouer favorablement en bas de l’échelle.

 

Notes:

  1. Ces revenus, qui étaient imposés avec des taux croissants en fonction des ressources de l’année, seront désormais taxés à un taux fixe de 30 %.