La note de l’Insee sur les revenus1  dans les départements d’outre-mer, publiée à l’été 2020, n’a pas fait grand bruit alors qu’elle offrait des données tout à fait inédites. Pour la première fois l’Insee a publié le taux de pauvreté de chacun des départements, mesuré en utilisant le seuil national fixé à 60 % du niveau de vie médian et non le seuil local. Résultat : plus de 30 % de pauvres en Martinique et en Guadeloupe en 2017, 42 % à la Réunion, 53 % en Guyane et même 77 % à Mayotte. De quoi s’alarmer.

Le seuil de pauvreté est défini en proportion du niveau de vie médian2. Pour ces départements lointains, l’Insee avait pris l’habitude d’utiliser comme référence le niveau de vie médian local au lieu du niveau de vie médian national, comme s’ils n’appartenaient pas au territoire national. Comme le niveau de vie local est beaucoup plus faible, cela réduisait sensiblement le taux de pauvreté. Selon l’ancien mode de calcul, le seuil de pauvreté pour 2017 aurait été abaissé à 550 euros mensuels (après impôts et prestations sociales) en Guyane, presque deux fois moins que le seuil national (1 020 euros) ; du coup, le taux de pauvreté se serait élevé à 23 % au lieu de 53 %. C’est même la première fois qu’un taux est publié pour Mayotte. Cette situation, qui aurait indigné s’il s’agissait du Cantal ou de la Creuse, n’a longtemps guère suscité de débat. Au fond, la population la plus défavorisée des Dom, du fait de sa prétendue « différence », devait se satisfaire d’une norme de niveau de vie inférieure à celle de la métropole.

Les nouvelles données de l’Insee permettent de documenter une situation que connaissent bien les observateurs de ces territoires. Alors que les plus pauvres y sont particulièrement démunis, les plus riches y vivent très bien. Ils disposent de revenus très proches de ceux de la métropole. En Martinique, le seuil d’entrée au sein des 10 % les plus riches est de 3 100 euros mensuels, supérieur même à celui de la métropole (3 010 euros) alors que les 10 % les plus pauvres touchent au mieux 630 euros mensuels contre 900 euros pour la métropole. D’un côté, la richesse est accaparée par une minorité dont une partie vit d’une économie de rente, faiblement concurrentielle. De l’autre, la plus grande misère persiste, alimentée notamment par de très faibles niveaux de qualification et le manque d’emplois pour les jeunes. En Guadeloupe par exemple, 45 % des moins de 35 ans, 48 % des peu ou pas diplômés et 83 % des chômeurs ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté.

Les prestations sociales amortissent partiellement les difficultés. Elles font baisser de dix points du taux de pauvreté dans les Dom contre sept points en métropole. Comme le souligne l’Insee, cela ne vaut pas pour Mayotte où le niveau des prestations sociales est inférieur (-50 % pour le RSA) et où les étrangers régularisés doivent attendre 15 ans avant de les toucher. Dans l’île, 80 % de la population vit avec moins de 1 090 euros pour une personne seule, soit à peine plus que le seuil de pauvreté.

Les niveaux de pauvreté des Dom, même revus, ne prennent pas en compte les différences du coût de la vie. Selon l’Insee, les prix sont supérieurs à la métropole de 12 % en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, et de 7 % à La Réunion. Ceci résulte notamment du fait du prix des denrées alimentaires qui forme une part plus importante du budget des plus pauvres. Les fonctionnaires disposent d’ailleurs d’une sur-rémunération – de 40 % par exemple dans les Antilles – pour compenser ce phénomène. Bas niveaux de vie + prix élevés : les populations survivent en se serrant la ceinture, loin des normes de consommation du continent. Par ailleurs, elles activent logiquement toutes les autres solutions de « débrouille » indispensables, de l’entraide familiale ou amicale au travail non déclaré notamment.

Notes:

  1. « Une pauvreté marquée dans les DOM, notamment en Guyane et à Mayotte », Insee première n°1804, Insee, juillet 2020.
  2. Les données sont ici mesurées au seuil à 60 % du niveau de vie médian.