L’évolution du taux de pauvreté est souvent mal interprétée. Pour le comprendre, prenons l’exemple de ce qui s’est passé entre 2009 et 2010, objet d’une étude approfondie de l’Insee1. Le taux de pauvreté2 est alors passé de 12,7 % en 2009 à 13,6 % en 2010, il a donc augmenté de 0,9 point. Mais le nombre de pauvres de 2010 n’est pas équivalent à celui de 2009, auquel on aurait ajouté un complément. Notre « modeste » hausse masque deux phénomènes ne sens contraire : 4,4 % de la population est sortie de la pauvreté et 5,3 % y est entrée. Un tiers des pauvres de 2009 ne l’étaient donc plus en 2010. Un taux stable peut masquer des mouvement d’entrée et de sortie dans la pauvreté de grande importance.

Pour interpréter l’évolution de la pauvreté, il faut s’intéresser aux parcours : ce qui fait que l’on devient pauvre ou que l’on s’en sort. Prenons maintenant, non pas tous les pauvres, mais ceux qui le deviennent une année donnée. Selon l’Insee, la moitié restera pauvre l’année suivante, 30 % au bout de trois ans et 20 % au bout de quatre. Une histoire de verre à moitié vide ou à moitié plein. Quatre années après être devenues pauvres, 80 % des personnes ne le sont plus : la pauvreté n’est pas une trappe dans laquelle on tombe et dont on n’échappe pas. En même temps, cela signifie qu’une partie de la population reste durablement marquée.

Quels sont les facteurs qui entre en ligne de compte ? Comme pour le chômage, les plus âgés sont moins touchés, mais une fois qu’ils sont pauvres, la probabilité pour eux de s’en sortir est plus faible. Au bout de deux ans, les deux tiers des plus de 65 ans sont toujours pauvres, contre 43 % des moins de 65 ans. Les cadres supérieurs qui s’appauvrissent s’en sortent plus vite en général : les trois quarts de ceux qui sont devenus pauvres ne le sont plus l’année suivante, contre 45 % des ouvriers.

Pour bien analyser ces parcours, il faut aussi de la durée. L’Insee a suivi durant cinq années les personnes pauvres de 20043. Au cours des cinq années, 12,8 % de la population a connu la pauvreté monétaire au moins une fois et 3,7 % l’est restée en quasi-permanence : c’est le coeur de la pauvreté en France. Les auteurs mettent en avant l’effet du diplôme : « Si faire des études n’est pas un bouclier contre toutes les situations de pauvreté, cela n’en constitue pas moins un moyen efficace pour éviter la pauvreté durable ». Au total, 40 % de la population est sortie du système scolaire avant 17 ans4, 48 % des pauvres sont dans ce cas, mais c’est le cas de 58 % de ceux qui sont restés pauvres au moins quatre années. Les auteurs insistent aussi sur l’effet des séparations. Un événement rare au niveau de l’ensemble de la population (3,7 % de la population présente entre 2004 et 2008 est concernée), mais qui a un impact fort : c’est le cas de 6,5 % de l’ensemble des pauvres et de 10,4 % des personnes restées pauvres quatre années.

Une troisième étude analyse les montées et les descentes dans l’échelle des revenus de la population de 2007, pour les années 2008 à 20105. Pour observer les évolutions, elle distingue trois catégories : ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté, ceux qui sont entre ce seuil et les 40 % les plus bas revenus (qualifiés de « modestes »), et les 60 % supérieurs restants.

Parmi les pauvres de 2007, la moitié s’est trouvée sous le seuil de pauvreté au moins deux fois entre 2008 et 2010, un tiers a accédé aux catégories modestes et 9 % ont grimpé jusqu’aux catégories supérieures. Parmi les modestes, 12 % sont devenus pauvres et 24 % sont passés dans la tranche supérieure. Enfin, 89 % des « supérieurs » le sont restés, 8 % sont descendus parmi les modestes et 2 % seulement sous le seuil de pauvreté. L’échelle de temps est relativement courte, mais l’on voit bien que les parcours entre les extrêmes sont rares, les flux les plus conséquents se situant entre les plus pauvres et les catégories modestes.

L’idée qu’à un moment donné tout le monde puisse devenir pauvre est une vue de l’esprit. «Parmi la tranche des niveaux de vie modestes, les chômeurs, les immigrés, les familles monoparentales et les familles nombreuses suivent plus souvent des trajectoires « descendantes » conduisant à des situations de pauvreté monétaire. », analysent les auteurs. Trois événements majeurs peuvent faire basculer des catégories modestes vers la pauvreté : travailler un nombre de mois inférieur dans l’année (précarité de l’emploi), se retrouver au chômage ou le retour d’un enfant au foyer familial. A l’inverse, la formation d’un couple, qui  crée des économies d’échelle dans le logement (pas besoin d’une salle de bain par personne), et la prise d’autonomie d’un enfant peuvent permettre de sortir de la pauvreté.

Ces études portent sur un temps qui reste assez court, quelques années tout au plus, et ne donnent qu’une idée rudimentaire de parcours qui peuvent être faits d’allers-retours entre des niveaux de vie modestes et la pauvreté, en fonction notamment des aléas de l’emploi. En allongeant la durée d’observation, la probabilité de connaître au moins une fois la pauvreté augmenterait et la part de personnes engluées dans la pauvreté baisserait.

On peut tout de même en tirer plusieurs grands enseignements. Premièrement, d’une année sur l’autre, un tiers des pauvres ne le sont plus, cela peut sembler modeste, mais cela va à l’encontre d’une pauvreté figée. Deuxièmement, l’événement majeur qui fait basculer vers la pauvreté ou en sortir, c’est l’accès à l’emploi ou sa perte, mais aussi le défaut d’emploi durable. Et là, la catégorie sociale et le diplôme sont des éléments clés. Troisièmement, les événements familiaux ont moins d’impact pour l’ensemble de la population, mais une séparation marque durablement, notamment les femmes avec enfants. Une naissance joue peu, mais l’autonomie prise par un enfant a un effet.

Notes:

  1. « Les facteurs qui protègent de la pauvreté n’aident pas forcément à s’en sortir », Simon Beck, Nathalie Missègue et Juliette Ponceau, in « Les revenus et le patrimoine des ménages », Insee, ed. 2014.
  2. Dans cet article, le seuil de pauvreté est toujours fixé à 60 % du niveau de vie médian.
  3. « Pauvreté monétaire en termes de conditions de vie : sur cinq années, un tiers de la population a été confrontée à la pauvreté. », Pascal Godefroy et Nathalie Missègue, in « Le revenu et le patrimoine des ménages », Insee, éd. 2012.
  4. Un chiffre qui correspond au niveau scolaire en France, toutes générations confondues.
  5. Les conditions de vie des personnes aux revenus modestes et leurs trajectoires de niveau de vie., Julie Labarthe et Michèle Lelièvre, in « Minima sociaux et prestations sociales », éd. 2014, min. des Affaires sociales.