Le sentiment d’isolement n’a pas grand-chose à voir avec le fait de vivre seul. Dans leur très grande majorité, les personnes qui vivent seules ne se sentent pas isolées, comme le montre une étude réalisée par l’Equipe de recherche sur les inégalités sociales (Eris) du CNRS dans l’agglomération de Strasbourg 1. 15 % des personnes seules disent se sentir isolées de façon régulière et donc 85 % ne sont pas dans cette situation. Selon cette enquête, 10,7 % de l’ensemble des personnes interrogées souffrent de solitude de façon régulière, toutes formes de ménages confondus2.

Ces données débouchent sur une conclusion inédite, rarement évoquée. La plupart des personnes qui souffrent de la solitude, ne vivent pas seules ! Expliquons-nous. La part des personnes seules qui se sentent isolées est supérieure à la moyenne (15 % contre 10 %), logique. Mais le nombre de personnes seules ne représente qu’une petite fraction de la population : 16 % selon l’Insee.  15 % de personnes qui se sentent seules parmi 16 % de personnes qui vivent seules ne représente au total que 2,4 % de l’ensemble de la population. L’enquête ne donne pas la part de personnes qui se sentent seules parmi celles qui vivent en famille, mais uniquement parmi l’ensemble de l’échantillon (10,7 %), mais même si l’on applique un taux très faible de 5 %, on obtient environ 4 % de la population totale, presque deux fois plus.

Ce calcul demande à être complété : les données locales ne sont pas forcément généralisables, l’échantillon n’étant pas totalement représentatif de la population française et les familles monoparentales ne sont pas comptabilisées parmi les personnes qui vivent seules. Il n’empêche que vie en solo et sentiment de solitude sont deux situations très différentes.  Vivre seul recouvre une variété de situations qui dépendent notamment de l’âge, du jeune étudiant à la personne âgée. Le sentiment de solitude peut provenir d’un grand nombre de facteurs, du mal-être personnel à la rupture d’un couple en passant par la perte d’un emploi ou un déménagement. On peut très bien être entouré et se sentir seul.

L’enquête réalisée à Strasbourg met l’accent sur l’impact du chômage et plus généralement de l’intégration professionnelle, combinée aux attentes que l’on peut avoir, construites par des normes sociales. En matière de lien social, les attentes des personnes âgées ne sont pas les mêmes que celles des adultes. Avant l’âge de la retraite, ne pas réussir à trouver sa place dans le monde du travail peut pousser les individus à un processus de « disqualification sociale » très lourd à supporter. Et dans ce domaine, les inégalités sont grandes. Comme l’indiquent les auteurs « le sentiment de solitude est fortement corrélé, non pas à l’âge en tant que tel, mais avant tout aux conditions d’existence ». Ainsi, 38 % des chômeurs interrogés souffrent de la solitude de façon régulière, soit 3,8 fois plus que la moyenne.

Notes:

  1. Voir « Isolement et délitement des liens sociaux. Enquête dans l’agglomération de Strasbourg », Eris, enquête réalisée à l’initiative de la société Saint-Vincent de Paul, mars 2015.
  2. Chiffre équivalent à celui de la Fondation de France.