La durée du travail stagne depuis 15 ans autour de 1 400 heures annuelles. Un changement historique : notre pays n'a jamais connu de tel phénomène depuis les années 1950 et la reconstruction. A l'époque, les besoins de main d'oeuvre sont énormes et le taux d'activité féminin beaucoup plus faible. Assez vite la baisse du temps de travail reprend : entre 1964 et 2000, la durée du travail annuelle des salariés a baissé d’un quart, soit 470 heures ou quasiment l’équivalent de 60 journées de huit heures, ce qui est considérable.

La durée de travail des salariés dépend d’abord de la durée légale : la durée hebdomadaire d’une part, le nombre de jours de congés payés de l’autre. La troisième semaine de congés de 1956, la quatrième de 1968 et la cinquième de 1982 ont constitué des étapes importantes : l’équivalent du quart de la baisse enregistrée depuis 1949. De 1936 à 1982, la durée légale hebdomadaire n’avait pas été modifiée. Le passage à 39 heures en 1982 et à 35 heures en 2000 ont constitué deux autres moments clés. L’Insee estime que les lois Robien (1996) et Aubry (1998 et 2000) ont réduit le temps de travail d’une centaine d’heures en moyenne. Au total, entre 1950 et 2006, la durée hebdomadaire de travail est passée de 45 à 36 heures selon l’Insee, en gros l’équivalent d’une journée en moins.

Le second facteur qui influence la durée du travail est le poids du temps partiel, qui constitue une forme de réduction du temps de travail assortie d’une diminution équivalente (dans la plupart des cas) du salaire. De 1981 à 1998, la part du temps partiel a doublé, de 8,4 à 17,5 % ce qui constitue là aussi un très fort facteur de réduction du temps de travail moyen. Depuis, la part du temps partiel plafonne.

Il faut aussi tenir compte des pratiques des entreprises. La durée légale est une durée maximale et certaines entreprises optent pour un régime plus favorable pour leurs salariés. A l’inverse, le jeu des heures supplémentaires augmente le volume horaire global pour certains salariés. En France, sauf dérogation, la durée maximale du travail peut être de 10 heures dans une journée, 48 heures hebdomadaires ou 44 heures sur une période de 12 semaines.

Le temps de travail a un impact énorme sur la société. Il modèle les modes de vie, joue sur le temps passé en famille ou avec des amis, sur les loisirs, les vacances, etc. Même si le processus est loin d’être linéaire, depuis la révolution industrielle, il baisse dans tous les pays. Une tendance très profonde de l'histoire économique et sociale est à l'oeuvre : une partie de la richesse sert à élever les revenus, une autre à réduire le temps passé au travail, à libérer de tâches pénibles ceux qui travaillent le plus durement. Historiquement, la durée de travail est de très longue date l'objet de luttes politiques violentes1. Depuis quelques années, le mouvement semble au point mort. S'agit-il d'une simple pause ou d'un phénomène durable ?

Le niveau du chômage réduit les capacités de négociation des représentants des salariés dans ce domaine, la montée des inégalités de revenus pousse les salariés les moins rémunérés à chercher à travailler davantage et la faiblesse de la croissance pèse sur les marges des entreprises. Il y a peu de chances que le mouvement reparte sans phase de reprise de l'activité et un meilleur partage de la richesse.

 

Quelle est la « vraie » durée du travail ?  
La durée du travail rémunéré des salariés n’est qu’une estimation du temps réellement travaillé. Elle sous-estime nettement la réalité du poids du travail dans la vie quotidienne. Il faudrait compter les heures travaillées en plus mais « oubliées », non déclarées de façon plus ou moins tacite par le salarié, notamment dans le secteur privé. Une partie des cadres supérieurs salariés – sous certaines conditions – comptabilisent leur temps de travail en « jours » et non en heures (avec un maximum de 10 h par jour). Il y a aussi les heures de travail des non-salariés, supérieures de 10 à 15 heures en moyenne hebdomadaire à ceux des salariés, mais qui disposent en contrepartie de beaucoup plus d’autonomie en termes d’organisation et d’indépendance dans le travail. Enfin, il faudrait comptabiliser une part des tâches domestiques, principalement réalisées par les femmes, qui constituent une forme de travail non rémunéré et sans contrat, plus ou moins contraint, souvent dans une zone grise entre le travail et le loisir. Tout dépend au fond de la définition donnée au mot « travail ».

Pour en savoir plus :

– "Soixante ans de réduction du temps de travail dans le monde", Insee première n°173, janvier 2010.

– Les tableaux de l'Insee sur la durée du travail par branche.

 

Notes:

  1. Voir : « Le temps de travail une histoire conflictuelle », François Guedj et Gérard Vind, Syros, Paris, 1997.