La crise du coronavirus a eu un impact massif sur les niveaux de vie dès l’annonce du confinement à la mi-mars 2020. Une part importante des non-salariés ont en effet vu leur activité stoppée net et leurs revenus plonger. Quelles conséquences ce phénomène aura-t-il à long terme ? Contrairement à ce que l’on indique souvent, l’emploi indépendant est loin d’être un nouvel eldorado du travail.

Historiquement, l’emploi non salarié a eu tendance à diminuer depuis la Seconde Guerre mondiale. Entre 1970 et la fin des années 1990, le pourcentage d’indépendants a été divisé par deux, de 20 % à 10 % sous l’effet notamment de la diminution de l’emploi agricole ou dans le petit commerce. Des machines ont supplanté nombre d’emplois des champs, des bataillons de vendeurs salariés ont remplacé les gérants de magasin avec la croissance des super et des hypermarchés.

Depuis 20 ans, l’emploi indépendant augmente autant que l’emploi salarié et le taux d’emploi indépendant se stabilise. La création du statut d’auto-entrepreneur en 2008 a alimenté le phénomène : 900 000 personnes étaient ainsi occupées au deuxième trimestre 2019 selon l’Accoss. 1. En fait, l’évolution de l’emploi indépendant est le produit de deux mouvements opposés : la progression des auto-entrepreneurs d’un côté compense la baisse de l’emploi non salarié classique de l’autre. Entre 2008 et 2017, alors que les premiers ont progressé de 33 % selon l’Insee, les seconds ont diminué de 11 %. Au bout du compte, c’est la stabilité qui prévaut depuis 20 ans, la part des emplois indépendants dans l’ensemble des emplois représentant environ 12 % de l’ensemble. Mais les auto-entrepreneurs ne tirent de leur activité que de très maigres revenus. La moitié des auto-entrepreneurs dont c’est l’activité principale réalisent moins de 750 euros de chiffre d’affaires mensuel et un quart moins de 220 euros, selon les données 2016 de l’Insee.

À long terme, l’évolution du nombre d’indépendants est le fruit de facteurs plus structurels. En période de crise, payer le personnel à la tâche assure une flexibilité maximale de la production recherchée dans certains secteurs, du bâtiment aux services. Depuis 20 ans, on assiste moins à une envolée de ce type d’emplois qu’à un plafonnement du salariat qui peut difficilement occuper 100 % des postes de travail. L’entreprise structurée n’a pas forcément vocation à encadrer tous les métiers, du maçon à l’architecte. L’arrêt du processus de salarisation était inévitable un jour ou l’autre.

La crise économique engendrée par la crise sanitaire va-t-elle provoquer une diminution de l’emploi non salarié ? L’enjeu est moins l’emploi indépendant classique que le paiement à la tâche pour de très faibles montant d’une main d’œuvre le plus souvent jeune et peu qualifiée. Dans un premier temps au moins, la crise économique générée par la crise sanitaire va entraîner une baisse de l’activité et probablement des difficultés pour les jeunes à s’insérer dans l’emploi. En conséquence, une partie d’entre eux pourraient être contraints d’accepter n’importe quelle tâche, salariée ou non. Il est très difficile de prédire l’avenir du travail à la tâche qui se développe aujourd’hui du fait des nouvelles technologies, qu’il s’agisse de micro-travail en ligne ou par le biais de plateformes qui mettent en contact un professionnel et un client (phénomène dit d’« ubérisation ») : ces formes de travail ne représentent encore qu’un très faible nombre d’emplois.

Si l’activité repart plus durablement, alors une partie de ceux qui hier avaient été attirés par un statut avantageux vont probablement rechercher des revenus plus sûrs. L’arrêt quasi-total de l’activité a marqué les esprits : moins de charges sociales à payer, c’est aussi moins de protection en cas de coup dur et de nombreux jeunes se sont retrouvés sans aucune ressource du jour au lendemain. À plus long terme, il ne faut pas oublier que le salariat est aussi une assurance pour les entreprises qui n’ont pas toujours intérêt à une forte volatilité de leur main d’œuvre. Le paiement à la tâche est loin d’être optimum, pour ceux qui en vivent comme en termes d’organisation du travail.

À moins d’une profonde dérégulation du marché du travail – ce qui n’est jamais à écarter – l’emploi en masse de travailleurs à la tâche, très médiatisé, n’est pas pour demain. Il est peu probable qu’on assiste à une croissance de l’emploi indépendant, dans l’intérêt des employés comme des employeurs. Si c’était le cas, il faudrait alors s’attendre à des conséquences majeures pour les jeunes souvent en première ligne avec une fracture croissante entre les stables et les instables, source de tensions sociales.

 

Dans quels secteurs exercent les non-salariés ?

On compte un peu moins de trois millions de non-salariés en France, employés dans des secteurs très différents. La plupart exercent des activités de service. Presque un quart travaillent dans le secteur des services aux entreprises : gestion, information-communication, conseil juridique, etc. Un cinquième dans les services aux particuliers comme l'hôtellerie-restauration, l'enseignement, la coiffure et les soins de beauté. Le commerce arrive en troisième position avec 18 % des emplois et la santé en quatrième place avec 17 %. Le transport, qui fait beaucoup parler de lui, n'en représente que 3 %, dont 1 % pour les taxis et VTC.

 

 

Notes:

  1. Ceux qui ont effectivement une activité économique. Les auto-entrepreneurs ont été rebaptisés micro-entrepreneurs depuis.