La solidarité entre membres d’une même famille constitue l’un des ciments de la vie en société. La famille est le premier lieu de socialisation, d’échange mais aussi de soutien moral et matériel. La solidarité des plus âgés vers leurs descendants joue à plusieurs niveaux.

La famille, et notamment les grands parents, offre des services. Par exemple, elle pallie l’insuffisance de structures d’accueil de jeunes enfants. On ne compte qu’une place (toutes structures confondues) pour deux enfants en France1. Selon le ministère des Affaires sociales, 3 % des moins de trois ans sont pris en charge intégralement par leurs grands-parents, et 21 % au moins une fois par semaine (données 2013). Quand les deux parents travaillent à temps complet2, les pourcentages sont respectivement de 6 et 30 %. Sans les aînés, un nombre encore plus grand de parents – surtout des femmes – devrait avoir à choisir entre enfants et activité professionnelle.

La solidarité entre générations limite les conséquences de la crise. En France, plus de 20 % des familles déclarent faire des dons financiers à leurs enfants, selon l’enquête Share de 20103. Des montants modestes : 660 euros par an selon l’Insee (les données datent de 2001), mais ce chiffre moyen cache des transferts beaucoup plus conséquents pour une minorité. Les plus âgés accueillent une partie de leurs enfants qui n’arrivent pas à se loger de façon autonome, faute d’emploi : 46 % des jeunes ayant quitté l’école en 2007 vivaient toujours chez leurs parents trois ans plus tard4. Qu’il s’agisse de stages ou d’emplois, le réseau familial sert aussi de coup de pouce à l’insertion professionnelle.

La solidarité familiale constitue l’une des formes de la solidarité, limitée aux personnes qui se connaissent. Souvent idéalisée, elle est à double tranchant. Au-delà du coup de main, avoir recours de façon durable au soutien de ses parents recrée une relation de dépendance rarement souhaitée, même si elle manifeste une solidarité désintéressée. L’indépendance dans le logement constitue une étape de l’autonomie des jeunes adultes et le retour au sein du domicile parental un retour en arrière. Les trois quarts des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur sortis du système éducatif en 2007 et âgés de moins de 35 ans ne vivent plus chez leurs parents en 2010, contre un quart seulement des sans diplôme : c’est bien faute de trouver un emploi rémunérateur que les jeunes les moins qualifiés restent à la maison où y reviennent.

Ces soutiens, privés,  augmentent les inégalités entre ceux qui ont des moyens et les autres. « Les transferts d’argent ne sont pas essentiellement dirigés vers des jeunes en situation précaire ou visiblement démunis, et sont fortement reliés aux ressources économiques et scolaires des parents », analyse le sociologue Adrien Papuchon5. Pour accueillir ses enfants chez soi ou les soutenir financièrement, il faut le pouvoir. La solidarité privée reproduit, pour partie, les inégalités de niveau de vie dans la société. Il est tentant de reporter une partie de l’effort de solidarité sur la famille, encore faut-il bien en mesurer les conséquences.

Notes:

  1. Voir notre article « La moitié des moins de trois ans n’ont pas de place d’accueil ».
  2. Voir « Mode de garde et d’accueil des jeunes enfants en 2013 », Etudes et résultats n°896, ministère des Affaires sociales, octobre 2014.
  3. Voir « Les transferts familiaux vers les jeunes adultes en temps de crise : le charme discret de l’injustice distributive » Adrien Papuchon, Revue française des affaires sociales, n°1-2, 2014 et  « Comparaison de l’entraide familiale à l’échelle européenne : idées reçues, réalités et certitudes », Claudine Attias-Donfut et Howard Litwin, revue Informations sociales n°188, Cnaf, 2015.
  4. Voir « Entraide familiale, indépendance économique et sociabilité », Nicolas Herpin et Jean-Hugues Déchaux, Economie et statistiques n°373, 2004.
  5. « Les transferts familiaux vers les jeunes adultes en temps de crise », op cit.