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Sur longue période, le niveau d’éducation s’accroît et le nombre d’élèves qui sortent du système scolaire sans qualification diminue. Après la Seconde Guerre mondiale, la collectivité a investi massivement dans l’éducation, ce qui a profité aux plus défavorisés. Les catégories populaires et moyennes ont eu progressivement accès au collège et pour une grande partie au lycée, longtemps réservé à une élite. Le taux d’accès au bac s’est élevé pour toutes les catégories sociales. Pour la génération née à la fin des années 1960 (1967-1971), 68 % des enfants de cadres supérieurs ou de professions intermédiaires étaient bacheliers, contre 30 % des enfants d’ouvriers ou d’employés. Pour la génération née dix ans plus tard, les proportions sont respectivement de 82 % et 52 %. Pour les dix générations suivantes, les évolutions sont beaucoup plus lentes.

L’étude des durées de scolarisation aboutit à un résultat assez similaire. Entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 1990, les scolarités ont progressé à tous les niveaux. L’âge de sortie des 10 % ayant quitté le plus tôt le système éducatif est passé de 15,7 ans à 17,2 ans. Celui des 10 % aux scolarités les plus longues de 22,2 à 24,8 ans. Mais après les années 1990, seuls ceux qui ont été scolarisés les plus longtemps ont gagné quelques années. L’âge de sortie des 10 % aux études les plus courtes, comme l’âge médian, a stagné. L’investissement éducatif de la France ne progresse plus, et il en est de même des scolarités, chacun étant peu ou prou désormais au point mort, ce qui fait que les écarts (huit années séparent le haut et la bas de la hiérarchie) se maintiennent. Mais il faut être prudent dans l’interprétation de ces données car les taux de redoublement ont beaucoup diminué au cours des dernières décennies : cela a eu pour effet de raccourcir les durées de scolarité des élèves les plus faibles.

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Au bout du compte, que peut-on dire de l’évolution des inégalités sociales d’éducation ? Les résultats des recherches récentes sont nuancées : « D’une part, la massification de l’enseignement secondaire en France a été accompagnée d’une baisse notable des inégalités sociales d’obtention du baccalauréat depuis les années 1960. D’autre part cependant, la diversification du baccalauréat avec la création de types hiérarchisés de ce diplôme a en réalité provoqué le maintien du niveau des inégalités sociales à la fin du lycée, lorsqu’on considère plus précisément le type de baccalauréat obtenu. » écrit le sociologue Mathieu Ichou1. La mise en avant de quelques parcours méritants (« l’élitisme républicain ») est trompeur et l’école d’hier était bien plus inégalitaire. Rappelons que dans les années 1950, seuls 5 % des jeunes accédaient au bac.

Les chercheurs décrivent un processus qu’ils qualifient de « démocratisation ségrégative »2. Le niveau s’est accru pour tous, y compris pour les plus favorisés (il y a bien « démocratisation »). Mais les inégalités se sont déplacées plus tard dans la scolarité (d’où le terme de « ségrégative »). La sélection, qui se faisait dans les années 1950 en fin d’école primaire, s’effectue aujourd’hui en fin de collège. Les écarts se situent désormais entre filières du bac et dans l’enseignement supérieur, et ils sont considérables. Les enfants d’ouvriers représentent au mieux 6 % des élèves des enseignements les plus élitistes, alors qu’ils représentent 30 % de l’ensemble des jeunes, note l’Observatoire des inégalités.

Les écarts sont toujours là mais cette translation des inégalités a un impact : les catégories populaires profitent bien davantage qu’auparavant du système éducatif. Dans les sections professionnalisantes de l’enseignement supérieur, IUT et surtout BTS, leur sous-représentation est beaucoup moins grande. Une partie non négligeable des enfants de milieu populaire accèdent à un niveau de qualification très supérieur à celui de leurs parents. Il est vrai que cet effet est en partie réduit du fait du chômage et du déclassement de la jeunesse : à niveau de diplôme donné, on n’accède plus aux mêmes emplois.

Malheureusement, le ministère de l’Éducation ne livre des données qu’au compte-gouttes sur les années récentes. Il est possible que l’amplification des difficultés sociales depuis 2008 aient eu un impact sur les inégalités entre milieux sociaux à l’école. Par ailleurs, on pourrait s’interroger sur l’effet de l’abandon progressif du redoublement. La mesure va dans le bon sens, compte tenu de son faible impact sur la réussite scolaire. Elle a permis des gains budgétaires (on scolarise moins longtemps) mais, en contrepartie, les moyens dégagés pour lutter contre l’échec n’ont pas été développés. Du coup, on retrouve en fin de collège ou en début de secondaire (jusqu’à 16 ans) davantage d’élèves qui ne suivent pas.

Notes:

  1. « Évolution des inégalités au lycée : origine sociale et filières. », Mathieu Ichou, contribution au rapport du Cnesco « Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires », septembre 2016.
  2. Voir « La démocratisation de l’enseignement », Pierre Merle, éd. La découverte, nouvelle éd. 2017.