A la question, « Faut-il rétablir la peine de mort », 69 % des Français répondent qu’ils ne sont pas d’accord, selon les données pour l’année 2015, rassemblées par les chercheurs Vincent Tiberj, James Stimson et Cyrille Thiébaut à partir d’enquêtes d’opinion réalisées par entretien (hors Internet). Cette proportion est stable depuis le milieu des années 2000. Elle avait fortement progressé dans les années 1990. En 1988, seuls 35 % de la population n’étaient pas d’accord avec le rétablissement de la peine capitale : le taux a donc doublé.

Ces données vont à l’encontre de la thèse répandue d’un durcissement des valeurs dans ce domaine. Les études « montrent une forte progression du soutien au rétablissement de la peine de mort depuis les années 2010 », expliquait Brice Teinturier, le directeur général délégué d’Ipsos au quotidien Le Monde, en mai 2015 à partir d’un sondage qui indiquait que 52 % des Français étaient favorables au retour de la peine de mort[1].

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Plusieurs éléments peuvent expliquer la méprise des sondeurs. Le premier vient des outils. Les sondages sont réalisés de plus en plus rapidement sur Internet, ce qui pose un problème majeur quand toute une partie de la population n’y accède pas ou très rarement. Il faut gagner en productivité et rencontrer des personnes en vis-à-vis coûte cher. Le deuxième est plus fondamental : il existe une confusion entre des changements profonds et des fluctuations de court terme liées en grande partie au débat du moment ou aux différences de l’échantillon. Au passage, il en est exactement de même avec la question du soutien aux plus démunis que nous avons mis en évidence. Ces fluctuations ne sont guère liées à la technique de sondage utilisée. Ainsi, entre mars et septembre 2006, la part de personnes favorables au rétablissement de la peine de mort était passée de 33 % à 40 % selon les enquêtes du Cevipof réalisées en vis-à-vis, pour retomber à 30 % en février 2007. Qui peut sérieusement prétendre qu’il s’agissait là d’une évolution des valeurs dans un domaine aussi fondamental que la peine de mort et non la mesure de l’air du temps ?

Pourquoi cette confusion entre le vent du moment et des évolutions de fond ? L’intérêt économique des sondeurs et des médias prime sur l’analyse. Un grand nombre de sondages ne servent tout simplement à rien et ne font pas de mal car ils n’ont pas grande conséquence. Ce n’est pas toujours le cas : comme la pauvreté, une interprétation biaisée finit par activer le débat public, et sert de justification à des politiques censées être en phase avec l’évolution des valeurs, alors qu’elles ne le sont qu’avec le vent du moment.

Au-delà de la peine de mort elle-même, deux questions se posent alors. Celle des principes de ceux qui vendent l’opinion du moment pour des valeurs au grand public, alors qu’il y a manifestement tromperie sur la marchandise. Et celle du rôle du politique pris dans le débat médiatique, piégé entre une exigence de réaction rapide et la nécessité de prendre du recul pour analyser la société et ses évolutions.

[1] « 52 % des Français sont favorables au retour de la peine de mort », Le Monde, 8 mai 2015.