Comment évoluent les actes racistes en France ? Le débat sur le sujet est particulièrement vif, mais comme souvent on s’invective à coup de petites phrases à partir de données très parcellaires qui arrangent les uns et les autres, rarement en essayant de prendre du recul. Quelles que soient les données que l’on utilise, on ne voit pas apparaître une poussée du racisme en France, ce qui n’enlève rien à sa gravité.
L’évolution du nombre d’actes racistes est difficile à mesurer. La donnée la plus fiable provient du service statistique du ministère de l’Intérieur qui publie le nombre de crimes et délits à caractère raciste, dont environ 70 % sont constitués d’injures et de diffamations1 à caractère raciste. Malheureusement, les chiffres ne remontent qu’à 2015 : après une période de diminution, de 7 600 crimes et délits en 2015 à 5 170 en 2018, ces derniers sont remontés à 5 730 cas en 2019.
Le Service central de renseignement territorial du ministère de l’Intérieur recense une partie des actes à caractère raciste. Ceux qui lui remontent via des organismes de lutte contre le racisme. Les actes recensés ont triplé au début des années 2000, de 500 à 1 500 par an, puis ont oscillé autour de ce niveau. S’il y a eu progression, elle date d’une quinzaine d’années. En réalité, ce type de donnée – pourtant très commentée – n’a que très peu de valeur. Elle mesure surtout l’activité des associations. Le nombre d’actes racistes ainsi recensé varie du simple au double d’une année sur l’autre, ce qui n’a aucun sens.
Avec les condamnations, enregistrées par les tribunaux, on observe les actes les plus graves, ceux qui ont donné lieu à une sanction. Les données du ministère de la Justice indiquent une progression dans la première partie des années 2000 – on passe alors de 400 à 700 condamnations – puis une baisse suivie d’une stabilisation autour de 450 condamnations par an depuis 2010. On a de bonnes raisons de penser que le nombre des cas les plus graves n’augmente pas, sauf à penser que les juges seraient de plus en plus cléments dans leurs décisions.
Les données recensées par la police et les tribunaux ne reflètent qu’une petite partie des faits. Le racisme au quotidien, banal, est rarement déclaré et enregistré. Seules leurs variations des données ont réellement un intérêt car dans l’immense majorité des cas les personnes victimes de racisme ne portent pas plainte tant il est difficile d’apporter des preuves. Par ailleurs, la classification d’un fait commis comme « raciste » comporte toujours une part de subjectivité de la part de celui qui l’enregistre. Pour partie, ces chiffres évoluent en fonction de l’activité des services de l’État, police, gendarmerie ou justice : mieux ils combattent le racisme, plus les données augmentent.
Pour pallier ces difficultés et tenter de mesurer le nombre d’actes à caractère raciste commis, notamment ceux du quotidien, on peut utiliser une autre méthode : poser la question aux intéressés. Depuis 2006, tous les ans, le ministère de l’Intérieur réalise une enquête – dite de « victimation » – dans laquelle il demande aux personnes interrogées : « avez-vous été victime d’injures ou de violences racistes ? ». Les injures de type raciste représentent entre 10 % et 15 % de l’ensemble des injures globalement proférées. Les violences, entre 5 % et 7 %. Là aussi, les évolutions demeurent modestes. Le nombre de personnes victimes d’injures à caractère raciste a augmenté de 560 000 à 740 000 par an entre 2008 et 2013, puis il a nettement diminué pour revenir à 530 000 en 2018. Mesuré uniquement depuis 2011, le nombre de personnes se déclarant victimes de violences physiques à caractère raciste a été divisé par deux, d’un pic de 236 000 en 2012 à 114 000 en 2018. Là aussi, il faudrait tenir compte de l’évolution de la sensibilité aux actes racistes mais on peut difficilement conclure à une progression du phénomène.
Ni du côté des actes recensés, ni du côté des victimes, on observe une flambée du racisme. Le croisement de différentes données pousse plutôt à conclure à une stabilisation voire à une baisse ces dernières années. La chronique médiatique des faits divers et leur amplification par les réseaux sociaux ne correspondent pas à la réalité sociale. Ces données vont dans le même sens que l’évolution des valeurs : globalement, la tolérance progresse dans notre pays. Ces chiffres doivent cependant être maniés avec prudence. D’un côté, comme pour l’insécurité en général, quand une société est plus attentive à un phénomène social, elle fait ressortir des actes qui hier étaient passés sous silence. De l’autre, la stabilité des actes racistes n’empêche qu’ils demeurent massifs. Selon les enquêtes de victimation, on compte plus de 100 000 cas de violences physiques racistes chaque année. Et là, il s’agit bien de cas graves dans lesquels les coupables le plus souvent non condamnés. Comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), une grande partie du phénomène reste non mesurée (ce qu’on appelle « le chiffre noir »). Le racisme peut persister mais s’exprimer de manière moins violente, plus insidieuse, par exemple via un rejet de certaines pratiques culturelles. Enfin, la baisse globale des actes racistes est une moyenne qui peut masquer une augmentation vis-à-vis de catégories de population spécifiques.
Notes:
- Il s’agit de cas graves qui constituent un délit. ↩