Un peu moins de la moitié des Français (46 % contre 42 % de « pas d’accord ») sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « il y a trop d’immigrés en France », selon les données 2021 de la Sofres. Ce chiffre rassemble 21 % de Français qui le sont « tout à fait » et 25 % « plutôt ». On rassemble en fait deux réponses très différentes. Si la réponse « tout à fait d’accord » est claire, le « plutôt » est vague. Certains Français peuvent penser que les immigrés sont « plutôt » trop nombreux dans certains quartiers sans être opposés à leur présence. Le « plutôt » peut aussi signifier que les sondés aimeraient que les pouvoirs publics prennent davantage en considération les difficultés sociales auxquelles ils sont confrontés, et que certains attribuent à la présence des immigrés. Le mode d’expression d’une exaspération bien plus large.
Le débat médiatique du moment influence ces résultats. En fonction de l’intérêt de la presse pour la question, des déclarations médiatiques des leaders d’opinion, les sondés vont se positionner différemment. Le record a été battu en 2013 : 19 points séparent alors l’enquête de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) selon laquelle 75 % sont « tout à fait » ou « plutôt » d’accord avec « il y a trop d’immigrés en France », et celle de la Sofres (54 %). Comprend qui peut.
La formulation de la question1 aboutit mécaniquement à une part élevée de « trop ». Les sondeurs recherchent les clivages. Un exercice réalisé en 2000 par la CNCDH a donné des résultats édifiants. L’organisme a posé la même question avec deux modalités de réponse. Dans un cas, à la question « y a-t-il trop d’immigrés ? », on ne pouvait répondre que « trop » ou « pas trop ». Dans l’autre cas, on pouvait répondre « trop », « juste assez » ou « pas assez ». Dans le premier cas, 60 % de personnes estimaient qu’il y avait « trop » d’immigrés et 30 % « pas trop », 10 % ne sachant pas. Dans le second, on obtenait 48 % de « trop » et 43 % de « juste assez », 1 % de « pas assez », 8 % ne se prononçant pas.
Surprise ! De moins en moins de Français pensent qu’il y a trop d’immigrés
En matière de valeurs, les évolutions sur le long terme ont bien plus d’intérêt que la photo du moment. La plupart des sondages n’ont ainsi aucun intérêt. En revanche, la Sofres réalise depuis 2000 un « baromètre d’image du Front national » dans lequel cette question est posée. Surprise : mis bout à bout, les sondages font apparaître une baisse de la part des Français qui sont « plutôt » ou « tout à fait d’accord » avec l’affirmation « il y a trop d’immigrés » ! Nous sommes passés de 60 % au début des années 20002 à 46 % en 2020. La réduction a surtout eu lieu à la fin des années 2000. Après une remontée entre 2010 et 2013, on a assisté à une nouvelle décrue.
Pour vérifier cette évolution, nous avons rassemblé les résultats de deux enquêtes supplémentaires, celle de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et celle du Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), disponibles pour les dix dernières années. Elles confirment l’évolution : une montée de la part de la population hostile à la présence d’immigrés au début des années 2010 suivie d’une diminution dans les années récentes (à partir de 2014). Les attentats de 2015 n’y ont rien changé. Les crises migratoires autour de la Méditerranée semblent davantage provoquer de la compassion que de tensions dans l’opinion.
L’évolution est encore plus nette si l’on se concentre sur la seule réponse qui signifie un rejet, la part de ceux qui se disent « tout à fait » d’accord avec la thèse selon laquelle il y aurait « trop d’immigrés ». Cette part a été divisée par deux entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000, de 50 % à 25 %. Dans les années récentes, elle s’est réduite de 28 % à 21 % entre 2016 et 2021.
D’autres enquêtes montrent que les Français sont beaucoup plus tolérants vis-à-vis des personnes d’origine étrangère qu’on ne le dit, et cette tolérance s’accroît (voir notre article). Selon la CNCDH, la part des personnes « plutôt » ou « tout à fait » d’accord avec l’affirmation « l’immigration est une source d’enrichissement culturel » est ainsi passée de 50 % au milieu des années 1990 à 70 % en 2002 et elle oscille autour de ce chiffre depuis (61 % en 2020).
Comment expliquer l’emballement médiatique ?
La mise en scène médiatique de l’hostilité aux immigrés s’explique par différents types de facteurs. En période de chômage, l’insertion professionnelle des personnes les moins qualifiées (nombreuses parmi les personnes d’origine étrangère) est plus difficile, d’autant plus quand elles sont concentrées sur un espace réduit du territoire. Face à des difficultés sociales, les immigrés jouent le rôle de boucs émissaires. Jouer sur les peurs fait de l’audience et les réseaux sociaux polarisent les positions. Les actes terroristes menés par des fanatiques musulmans donnent du grain à moudre aux discours xénophobes.
Il est difficile pour l’heure de voir une issue à la situation actuelle. L’évolution économique joue beaucoup et la crise économique actuelle n’est pas favorable. Pourtant, à chaque reprise, le débat sur l’immigration s’éteint et l’insécurité prend le relais, comme cela a été le cas au début des années 2000. Les responsables politiques, une partie des « experts » appelés à commenter le sujet et les médias qui relaient leurs propos portent une énorme responsabilité dans la situation actuelle. Ils cherchent à s’attirer les faveurs de ce qu’ils estiment être « l’opinion » des catégories populaires. Ce faisant, ils sont en opposition avec les valeurs les plus communes et légitiment les positions xénophobes. Le débat se crispe alors encore plus. Une spirale dont on ne voit pas aujourd’hui la fin.
Notes: