Un peu moins de la moitié des Français (45 %) sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « il y a trop d’immigrés en France », selon les données de décembre 2022 de la Sofres. Depuis dix ans, toutes les enquêtes font apparaître une baisse de la part de la population qui estime que les immigrés sont trop nombreux. Et pourtant, les discours xénophobes sont davantage médiatisés.

La part de sondés qui estiment qu’il y a trop d’immigrés regroupe deux composantes différentes : 20 % de Français qui sont « tout à fait d’accord » et 25 % « plutôt d’accord ». Si la réponse « tout à fait d’accord » est claire, le « plutôt » reste vague. Certains Français peuvent penser que les immigrés sont « plutôt » trop nombreux dans certains quartiers, sans être opposés à leur présence. Ce « plutôt » peut aussi signifier que les sondés aimeraient que les pouvoirs publics prennent davantage en considération les difficultés sociales auxquelles ils sont confrontés. Le mode d’expression d’une exaspération qui dépasse de loin le rejet des étrangers.

La formulation de la question aboutit mécaniquement à une part élevée de « trop d’immigrés ». Les sondeurs recherchent les clivages plus que la nuance. Un exercice réalisé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) en 2000 a donné des résultats édifiants. L’organisme a posé la même question avec deux modalités de réponse. Dans un cas, à la question « y a-t-il trop d’immigrés ? », on ne pouvait répondre que « trop » ou « pas trop ». Dans l’autre cas, on pouvait répondre « trop », « juste assez » ou « pas assez ». Dans le premier cas, 60 % de personnes estimaient qu’il y avait « trop » d’immigrés et 30 % « pas trop », 10 % ne sachant pas répondre. Dans le second, on obtenait 48 % de « trop » et 43 % de « juste assez », 1 % de « pas assez », 8 % ne se prononçant pas.

En matière de valeurs, les évolutions sur le long terme ont beaucoup plus d’intérêt que la photographie du moment. La Sofres réalise depuis 2000 un « baromètre d’image du Front national » dans lequel cette question est posée. Mis bout à bout, les sondages font apparaître une nette baisse de la part des Français qui sont « plutôt » ou « tout à fait d’accord » avec l’affirmation « il y a trop d’immigrés », de 60 % au début des années 20001  à 45 % en 2022. La réduction a surtout eu lieu à la fin des années 2000. Après une remontée entre 2010 et 2013, on a assisté à une nouvelle décrue2.

La baisse est encore plus nette si l’on se concentre sur la seule réponse qui signifie un rejet, soit la part de ceux qui se disent « tout à fait » d’accord avec la thèse selon laquelle il y aurait « trop d’immigrés ». Cette part a été divisée par deux entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000, de 50 % à 25 %. Dans les années récentes, elle s’est réduite de 28 % à 20 % entre 2016 et 2022.

D’autres enquêtes montrent que les Français sont beaucoup plus tolérants vis-à-vis des personnes d’origine étrangère qu’on ne le dit, et cette tolérance s’accroît (voir notre article). Selon la CNCDH, la part des personnes « plutôt » ou « tout à fait » d’accord avec l’affirmation « l’immigration est une source d’enrichissement culturel » est ainsi passée de 50 % au milieu des années 1990 à 70 % en 2002 et elle oscille autour de ce chiffre depuis (61 % en 2020).

Comment expliquer le discours xénophobe ?

La mise en scène médiatique de l’hostilité aux immigrés s’explique par différents types de facteurs. Quand les niveaux du chômage et de la précarité demeurent élevés, l’insertion professionnelle des personnes les moins qualifiées (nombreuses parmi les personnes d’origine étrangère) est plus difficile, d’autant plus quand elles sont concentrées sur un espace réduit du territoire. Face à des difficultés sociales, les immigrés servent de boucs émissaires. Jouer sur les peurs de manière démagogique fait de l’audience, et les réseaux sociaux polarisent les positions. Les actes terroristes menés par des fanatiques musulmans donnent du grain à moudre aux discours xénophobes.

Une partie des responsables politiques, des experts et des médias qui relaient ces propos portent une lourde responsabilité. Ils cherchent à s’attirer les faveurs de ce qu’ils estiment être l’opinion des catégories populaires. Ce faisant, ils sont en opposition avec les valeurs de la grande majorité de la population et légitiment les positions xénophobes. Un cercle vicieux politique s’enclenche alors, dont on ne voit pas aujourd’hui la fin.

Photo : Tim Mossholder / Unsplash

Notes:

  1. Des enquêtes encore plus anciennes situaient même le niveau à 65 % en 1989 et à 74 % en 1995.
  2. Les enquêtes de la CNCDH comme celles du Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), disponibles pour les dix dernières années, donnent des évolutions similaires.