Le pouvoir d’achat par personne a baissé de 2 % de 2011 à 2013. Il faut revenir à 1986 pour enregistrer des chiffres aussi mauvais. Mais cette baisse est une moyenne qui cache un décrochage des moins favorisés et un enrichissement des plus aisés.

La cassure a eu lieu à la fin des années 1970. Jusqu'à cette période, on reste dans l’euphorie économique des Trente glorieuses : le pouvoir d’achat augmente de 4 % par an en moyenne. Après, des phases de progression plus modérées succèdent aux années de vaches maigres, voire de baisse des revenus après inflation. La mémoire de l’enrichissement des années 1950 à 1970 s’efface progressivement des mémoires, mais le contraste est grand pour ceux qui ont connu cette période.

Depuis les années 1980, les niveaux de vie augmentent moins vite, mais progressent tout de même : le pouvoir d’achat par habitant a gagné 45 %, en dépit des phases de stagnation. Si le revenu après inflation baissait d’un coup de 10 %, on reviendrait au niveau de vie du début des années 2000. Le niveau de vie médian – la moitié de la population gagne moins, l’autre davantage – pour une personne adulte est aujourd’hui de 1650 euros par mois, deux fois plus qu’au début des années 1970. Le seuil de pauvreté d’aujourd’hui, mesuré à 50 % du niveau de vie médian, est équivalent au revenu médian de cette époque. Le pouvoir d’achat des pauvres de 2014 correspond à celui des classes médianes d’il y a 40 ans…

Ces données permettent de comprendre pourquoi les générations anciennes relativisent la pauvreté. Mais elles dressent un tableau un peu trop optimiste, pour plusieurs raisons. On est pauvre par rapport à un niveau de vie général, dans un contexte donné : les besoins aussi ont changé. La comparaison des niveaux de vie avec les normes des années 1970 n'a qu'une pertinence limitée : avoir un peu de confort chez soi (douche, chauffage, etc.), pouvoir se déplacer, communiquer avec les autres (le téléphone portable est quasiment généralisé) font partie du standard de vie minimum, alors que ce n'était pas le cas il y a 40 ans.

Le "pouvoir d’achat", pour beaucoup, c’est ce que l’on peut vraiment dépenser. Or une partie de plus en plus grande du revenu des ménages est faite de dépenses dites « pré-engagées », sur lesquelles ont ne peut pas vraiment agir. L’Insee comptabilise à ce titre les dépenses de logement, d’assurance, de services de télévision et de télécommunications ainsi que les cantines. Leur part a doublé entre les années 1960 et le début des années 1990, de 15 à 30 % du revenu total. Elles correspondent bien à une amélioration de la qualité de vie (on se loge mieux, on communique, etc.), mais la part des dépenses librement affectée s’est réduite.

L’évolution moyenne du pouvoir d’achat masque des inégalités. L’indice des prix est une moyenne trompeuse. Le coût du logement, par exemple, est beaucoup plus élevé pour les générations récentes. Pour les jeunes, les niveaux de vie sont loin d’avoir doublé en quarante ans. Surtout, la stagnation récente du pouvoir d'achat est une moyenne qui masque le fait que d'un côté les plus aisés continuent à s'enrichir alors que les plus pauvres s'appauvrissent (lire notre article).