Être pauvre, c’est manquer de quelque chose. Dans les sociétés modernes, c’est d’abord ne pas avoir assez d’argent. Mais, cela ne fait pas tout. Avoir un diplômé élevé, un réseau d’amis ou familial développé, maîtriser les nouvelles technologies, disposer d’un logement convenable sont aussi des avantages, souvent liés au revenu, mais pas seulement. Il existe des dimensions complémentaires de la pauvreté, dites non-monétaires, qu’il ne faut pas négliger même si elles ne se mesurent pas facilement.

La pauvreté scolaire

La « pauvreté scolaire » est tellement peu évoquée qu’il n’en existe aucune définition (lire notre article). Pourtant, dans la société française, le titre scolaire dispose d’une importance considérable dans la définition des positions sociales : c’est un capital « culturel » pour parler comme les sociologues. Dans notre pays, 30 % de l’ensemble de la population de plus de 15 ans non scolarisée – toutes générations confondues – a au mieux le niveau de troisième (données enquête emploi 2017 de l’Insee). Si l’on ne considère que les 30 à 49 ans, 13 % (plus de deux millions de personnes) n’ont aucun diplôme et 18 % ont au mieux le brevet des collèges. Parmi les peu diplômés, une partie est en grande difficulté : ils ne disposent pas des bases de la lecture, de l’écriture et du calcul pour être autonomes dans la vie courante. Ce sont les personnes dites « illettrées ». On estime que 7 % des 18 à 65 ans sont dans ce cas (données Insee 2011), soit un peu moins de trois millions de personnes. On parle d’illettrisme pour les personnes qui ont été scolarisées en France, ce qui n’est pas le cas d’une partie des personnes d’origine étrangère, parmi lesquelles on estime que 1,5 million ont également des difficultés quotidiennes avec l’écrit en français.

La pauvreté d’emploi

Ne pas accéder à une norme d’emploi correcte peut être aussi considéré comme une forme de pauvreté. Selon l’Insee, notre pays, comptait 2,7 millions de chômeurs (définition du Bureau international du travail) en 2018. On peut y ajouter 3,7 millions de travailleurs précaires : principalement des personnes en intérim ou en contrat à durée déterminée. On compte aussi 1,6 million de découragés, qui ne recherchent plus activement un travail tant la situation est dégradée. Ils ne sont donc plus comptés comme « actifs », mais quand l’Insee les interroge, ils répondent pourtant qu’ils souhaiteraient travailler. Si on additionne ces catégories, on aboutit à un total de huit millions de non ou mal-employés, soit 25 % des adultes concernés. Toutes ces données sont établies avant l’impact de la crise liée au coronavirus sur le chômage et pour les non-salariés dont une partie a vu ses revenus stoppés nets.

 La pauvreté du logement

Quatre millions de personnes sont mal logées en France, selon la Fondation Abbé Pierre. Ce chiffre est légèrement supérieur à la part de la population qui estime vivre dans des conditions de logement « insuffisantes » ou « très insuffisantes » (3,8 millions en 2013, selon l’Insee). Du sans domicile fixe au jeune contraint de revenir chez ses parents, en passant par le couple qui vit avec son enfant dans un studio, le « mal-logement » recouvre des réalités différentes. Au fond, il se présente sous trois formes principales, parfois conjuguées : une mauvaise qualité de l’habitat, une faible superficie et le fait de ne pas avoir de logement à soi.

Parmi ces mal-logés, il y a d’abord les sans-abri et ceux qui n’ont pas de domicile fixe (143 000). Mais, en plus, on compte 332 000 personnes vivant dans un logement qui n’a pas l’eau courante, 934 000 dans un habitat surpeuplé (un couple avec deux enfants dans un deux-pièces par exemple), 69 000 personnes hébergées chez des tiers (hors famille) sans moyen de se loger autrement, etc. La situation du logement en France n’a pas grand-chose à voir avec celle, très difficile, que notre pays a pu connaître dans l’après-guerre, mais la persistance d’un tel niveau de mal-logement est d’autant plus problématique que notre pays est parmi les plus riches au monde et que les conditions générales de logement se sont globalement améliorées.

La précarité énergétique

La précarité énergétique touche un peu moins de 12 % des ménages, ce qui représente 6,7 millions de personnes, selon les données 2018 de l’Observatoire de la précarité énergétique (ONPE). L’organisme considère comme précaires ceux qui figurent parmi les 30 % les plus pauvres et qui consacrent plus de 8 % de leur budget à l’énergie (chauffage et éclairage notamment). Le taux de précarité énergétique a diminué de trois points entre 2013 et 2018, de 14,5 % à 11,7 %. Si l’on corrige ces données des conditions météorologiques, la diminution est moindre : le taux serait passé de 13,8 % en 2013 à 12,4 % en 2018. Pour l’ONPE, cette évolution est liée au renouvellement du parc de logements et à l’effet des rénovations : les nouveaux logements qui sortent de terre sont de mieux en mieux isolés du froid. On notera toutefois une progression en 2018 de l’indice qui tient compte de la météo, liée pour l’organisme à la hausse des prix de l’énergie.

L’ONPE interroge les ménages sur les enjeux liés à l’énergie. Globalement, 15 % des ménages disent avoir souffert du froid durant l’hiver 2018-2019, principalement à cause d’une mauvaise isolation (40 %), d’une panne de chauffage (24 %) ou d’une installation de chauffage insuffisante (20 %). 7 % indiquent des raisons financières. En 2019, un dixième de la population notait avoir rencontré des difficultés pour payer certaines factures d’énergie contre 15 % en 2013. Un tiers des ménages disent avoir restreint le chauffage pour ne pas avoir de factures trop élevées, contre 45 % en 2013.

La pauvreté des relations sociales

Un peu plus d’un Français de plus de 15 ans sur dix a peu de relations sociales, selon une étude du Crédoc pour la Fondation de France (données 2019)1. Cela représente environ sept millions de personnes qui n’ont pas, ou très peu, de contacts physiques avec leur réseau familial, professionnel, amical ou de voisinnage. Selon l’Insee, qui prend en compte les contacts à distance, le chiffre est beaucoup plus faible : 3 % des 16 ans et plus sont isolés de leur famille et leur entourage2.

L’isolement est une chose, son ressenti en est une autre. 12 % des personnes interrogées par le ministère des Solidarités (données 2016) disent se sentir « souvent seules ». Dans l’enquête du Crédoc (données 2019), 6 % disent se sentir seules « tous les jours ou presque » et 14 % « souvent ». Le sentiment d’isolement ne doit pas être confondu avec le fait de vivre seul. Cela joue, mais ce n’est pas le seul facteur. On peut vivre seul et avoir de nombreux contacts et vivre dans une famille mais se sentir isolé. Selon le Crédoc, 23 % des personnes qui n’ont aucun réseau de sociabilité se sentent seules « souvent » ou « tous les jours ou presque » mais le chiffre est de 19 % pour les personnes qui ont au moins deux réseaux de sociabilité (amis, famille, etc.).

Les oubliés des nouvelles technologies

10 % de la population ne se connecte jamais à l’Internet, selon les données 2019 du Crédoc. En dépit des progrès, les plus âgés en demeurent éloignés : 44 % des plus de 70 ans et 25 % des personnes à bas revenus ne sont pas connectés (données 2017). Comme pour le livre ou la télévision, c’est de plus en plus l’usage qui sépare les catégories de population. 40 % de la population (87 % des plus de 70 ans) n’utilisent pas les réseaux sociaux virtuels (Facebook, Twitter, etc.). Un tiers de la population n’a jamais effectué de démarche administrative sur Internet. C’est le cas de 70 % des non-diplômés contre 10 % seulement des diplômés du supérieur. Selon l’Insee, au total 20 % des 15 ans et plus seraient touchés par l’illectronisme : l’incapacité pour des raisons matérielles ou un manque de compétences d’utiliser les ressources et les moyens des nouvelles technologies. Ce serait le cas de la moitié des personnes sans diplôme.

Une partie de la population, la plus âgée, n’a pas nécessairement besoin, ni envie, d’accéder à ces nouvelles technologies. Mais au bout de compte, les personnes âgées et celles qui sont peu qualifiées se retrouvent de plus en plus souvent exclues de services (privés mais aussi publics) qui ne deviennent accessibles qu’en ligne.

La pauvreté du temps libre

Déterminer une « pauvreté des loisirs » n’est pas chose aisée. Quelle norme choisir ? L’hyperactivité et la densité des activités des plus favorisés sont-elles des références ? Certains d’entre eux transforment en effet leurs loisirs en travail tant leur rythme est soutenu durant leur temps qui n’est du coup plus très « libre ». Ce qui n’empêche qu’une partie de la population reste à l’écart du loisir ou dispose de peu de temps pour faire une coupure par rapport au travail. Un peu plus du tiers de la population ne part pas du tout en congé une année donnée selon les données 2019 du Crédoc. Selon Eurostat, 23 % des Français indiquent ne pas avoir les moyens de se payer une semaine de vacances hors de chez eux (donnée 2019).

Les pauvretés se cumulent

Bien d’autres formes de pauvreté pourraient être décrites, qu’elles soient liées à la santé, à l’éloignement des services, à l’accès à la culture ou à la sécurité au quotidien par exemple. Ainsi, 11 % des Français se sentent souvent ou de temps en temps en insécurité dans leur quartier ou leur village, selon le ministère de l’Intérieur. Ce chiffre atteint 15 % pour les plus modestes et 10 % pour les catégories aisées. Souvent, ces formes de pauvreté se cumulent. Avoir un diplôme élevé par exemple assure en général un niveau de revenu suffisant, un certain nombre de contacts, un logement convenable, etc. Mais cette règle ne se vérifie pas toujours. Une partie des personnes âgées peuvent connaître une situation économique relativement confortable mais être isolées, ou se sentir exclues des nouvelles technologies par exemple. Certains jeunes diplômés échouent à s’insérer dans l’emploi et subissent le déclassement social, la précarité.

Notes:

  1. « Isolement relationnel et mobilité », étude réalisée pour la Fondation de France, Crédoc, novembre 2019.
  2. « 3 % des individus isolés de leur famille et de leur entourage », Insee Première n°1770, Insee, septembre 2019.