Sommes-nous entrés dans un monde où de plus en plus de personnes ne voudraient plus avoir d’enfants ? La crise sanitaire et le confinement ont fait chuter la fécondité fin 2020 et début 2021. La fécondité est plutôt stable depuis 40 ans, mais alors que les années 1990 et 2000 avaient été marquées par une remontée des naissances, la tendance est à la baisse depuis 2010. De quoi susciter des inquiétudes, d’autant que la thèse de la « dépopulation » existe toujours dans notre pays, qui au fond n’a toujours pas digéré le fait d’avoir une croissance démographique plus lente que ses voisins au XIXe siècle… Le courant nataliste y reste influent et plane toujours l’ombre d’un individualisme débordant, d’un recentrage sur soi-même qui finirait par aboutir à la fin du monde, faute d’enfants. Pour d’autres, surtout au sein des milieux diplômés, ce serait un processus inverse : c’est l’inquiétude de cette fin d’un monde en voie de s’achever qui pousserait à ne plus vouloir avoir d’enfants.

Si l’on se fie aux données disponibles, on est bien loin de tout ça. La part des femmes qui demeurent sans enfant à la fin de leur vie féconde (autour de 45 ans) est de 13,5 % pour la dernière génération dont on dispose des données définitives, née entre 1961 et 1965. Un niveau quasi-identique à celui de la génération née dans les années 1930 (12,7 %). L’infécondité augmente en revanche chez les hommes. Jusqu’aux générations nées dans les années 1940, elle était de 14 %, on se situe désormais au-delà de 20 % 1.

La part de la population qui ne souhaite pas avoir d’enfant demeure très faible, de l’ordre de 5 % : 4,4 % chez les femmes et 6,8 % chez les hommes, selon une enquête de l’Ined de 20102. Autour de 5 % pour les moins de 25 ans, le taux diminue à 2,5 % chez les 30-34 ans et remonte à 7 % pour les 40-49 ans. Avec 95 % d’adultes qui souhaitent avoir au moins un enfant et entre 80 % et 90 % qui en ont, la France est loin de voir ses maternités se vider. Quelles sont les raisons qui poussent une partie de la population à ne pas avoir de descendance ? Comment faire la part de ce qui relève du choix et de la contrainte ? La question de fond étant celle de la conciliation entre le désir d’enfant et leur venue au monde.

Plusieurs facteurs se conjuguent. L’allongement des scolarités, les difficultés d’insertion dans le monde du travail et les difficultés de conciliation vie professionnelle/maternité ont eu pour effet de repousser dans le temps la formation des couples, ce qui a joué sur la descendance finale (le nombre d’enfants par femme en fin de vie féconde) mais a aussi pu être un moteur de l’infécondité. La perte d’influence de l’Eglise catholique et le meilleur contrôle des naissances ont aussi joué.

Quand on entre dans le détail 3, deux catégories de populations se distinguent par une forte infécondité : les femmes très qualifiées et les hommes qui le sont peu. Une sorte de « loi » de formation des couples crée ce déséquilibre. Si la majorité des couples se composent d’hommes plus diplômés que les femmes, logiquement les femmes du « haut » de l’échelle et les hommes du « bas » ont des difficultés à trouver l’âme sœur. Cette règle n’est que la traduction d’une situation inégalitaire, les hommes ayant longtemps été plus diplômés que les femmes. Une poussée de la scolarisation des femmes crée un déséquilibre qui peut être résolu dans le temps avec une « nouvelle » règle, les couples se formant différemment, mais cela prend du temps. Dans les faits, on constate d’ailleurs de plus en plus de couples au sein desquels les femmes sont plus diplômées que les hommes.

D’autres explications existent. Pour une part des couples, en particulier chez les plus diplômés, le projet d’avoir des enfants semble arriver « trop tard » du fait des normes sociales et du déclin de la fertilité avec l’âge. Le développement rapide de la procréation médicalement assistée (3,4 % des enfants en 20184) ne permet pas de rattraper ce retard. Une partie des adultes deviennent beaux-parents en formant un couple avec une personne qui a déjà des enfants ce qui leur convient.

La part de couples sans enfant va-t-elle encore augmenter à l’avenir ? Il est vrai que les données dont on dispose aujourd’hui reflètent la situation de génération déjà âgées. Les résultats d’une enquête réalisée par des chercheurs de l’Ined confirment une progression pour les générations plus récentes, nées dans les années 1970. Le taux d’infécondité atteindrait 15 % pour les femmes nées en 1980 (voir graphique ci-dessous)5, soit un retour au niveau connu par les femmes nées dans les années 1920. Ces estimations restent précaires, car, au moment de l’enquête, en 2010, une partie des couples pouvaient encore avoir des enfants. Mais elle ne dit rien non plus de ce qui va se passer avec les générations suivantes, nées dans les années 1990 et 2000.

Plusieurs paramètres entreront en ligne de compte. L’élévation du niveau général des connaissances à acquérir avant d’entrer sur le marché du travail devrait encore conduire à allonger les scolarités, et va jouer négativement. Joueront aussi l’accent mis sur la liberté dans les activités de la vie sans enfant (ou, inversement, sur les attraits de la famille)6, les instruments de prise en charge des jeunes enfants pour conjuguer vie de famille et activités individuelles, les progrès médicaux dans le traitement de l’infertilité, ainsi que les normes sociales concernant l’âge de la maternité et de la paternité. Demain, il pourrait être davantage dans la norme, et physiquement possible (notamment pour les femmes), de devenir parent autour de la quarantaine.

Il est difficile de mesurer l’impact des inquiétudes liées à l’avenir. Plusieurs facteurs se mêlent. La remontée de la précarité du travail dans les années récentes7 alimente une forme d’insécurité sociale. Pour les moins qualifiés, l’insertion dans une forme de stabilité économique est de plus en plus tardive. En même temps, même si c’est beaucoup moins concret dans l’immédiat, les craintes quant à la soutenabilité de notre modèle économique et ses conséquences sur la planète sont de plus en plus présentes chez les jeunes générations. À cela s’ajoutent les craintes liées à la situation sanitaire, qui alimentent un climat global d’inquiétude. En imaginant que l’on revienne à une situation sanitaire plus normale en 2022, la crise du coronavirus aura laissé des traces dans les esprits.

Notes:

  1. « Avez-vous eu des enfants ? Si oui, combien ? », Luc Masson, France Portrait social, Insee, éd. 2013.
  2. « Rester sans enfant : un choix de vie à contre-courant », Charlotte Debest et Magali Mazuy, Population et sociétés, n°508, Ined, 2014.
  3. « Childlessness in France. », Katja Köppen, Magali Mazuy et Laurent Toulemon, in Childlessness in Europe, M. Kreyenfeld et D. Donietzka, Demographic Research Monographs, 2017.
  4. « Un enfant sur trente conçu par assistance médicale à la procréation en France », Elise de la Rochebrochard, Population et sociétés n°556, Ined, juin 2018.
  5. « Childlessness in France. », art. cité.
  6. « Rester sans enfant : un choix de vie à contre-courant », article cité.
  7. « La précarité de l’emploi augmente », Observatoire des inégalités, 5 décembre 2019.