La fécondité dite « conjoncturelle » a atteint 1,76 enfant par femme en France métropolitaine en 2022, en légère baisse par rapport à l’année précédente. Elle se situe à son niveau du milieu des années 2000. Le mouvement de baisse entamé au début des années 2010 (- 0,3 enfant par femme en dix ans) est trop faible pour qu’on puisse en tirer des conclusions sur les comportements de natalité. La France est historiquement un pays très inquiet de sa fécondité, alors qu’il figure parmi ceux où elle est la plus élevée en Europe. La peur de l’extinction démographique à petit feu, dans un avenir très lointain, est régulièrement agitée.

L’indicateur conjoncturel de fécondité – celui le plus commenté et que nous avons cité – mesure la fécondité une année donnée, toutes générations confondues, quel que soit l’âge des mères. Chaque année, l’Insee calcule les taux de fécondité par âge du moment1 et estime à partir de ces taux un nombre d’enfants par femme à un moment donné. C’est donc une photographie sur laquelle on a mis sur le même plan des générations différentes. Il ne permet pas de savoir combien les femmes auront d’enfants par génération au bout du compte dans leur vie (l’équivalent d’un film).

Quand les couples décident simplement de reporter les naissances, l’indicateur diminue dans un premier temps (les années 1970 et 1980 en ont été des exemples), puis remonte avec la hausse de la fécondité aux âges plus élevés (les années 1990). La diminution depuis 2010 peut s’interpréter de la même façon. En se maintenant à un niveau élevé, le chômage et la précarité ont probablement affecté le calendrier des naissances : une partie des couples ont remis leur projet à plus tard, faute de ressources. De manière plus conjoncturelle, la crise sanitaire a eu le même impact : les naissances ont chuté entre décembre 2021 et février 2021. Le climat d’insécurité lié à la guerre en Ukraine peut aussi avoir un effet chez les jeunes couples. Mais la baisse du chômage devrait avoir l’effet inverse si elle se poursuit.

Pour comprendre la natalité, il faut se placer sur un temps beaucoup plus long. Depuis les années 1970, l’indice conjoncturel affiche au fond une grande stabilité, entre 1,8 et deux enfants par femme. C’est le baby-boom (1945-1975) qui est une exception étrange dans notre histoire démographique, pas ce qui se passe depuis. Le niveau de la fécondité est pour beaucoup lié à la place des femmes dans la société. Les pays où la fécondité est la plus faible sont ceux où la venue d’un enfant impose le plus souvent aux femmes d’arrêter de travailler (comme l’Espagne et l’Italie). La France est l’un des pays occidentaux où conjuguer maternité et vie professionnelle est à la fois moins difficile en pratique (ce qui ne veut pas dire facile) et le plus valorisé. Les pays où la fécondité est la plus élevée (la France, mais aussi la Suède ou le Royaume-Uni par exemple) sont ceux où les rôles hommes-femmes se sont rééquilibrés et où les normes traditionnelles de la famille (les femmes doivent s’arrêter de travailler pour élever leurs enfants) sont les moins prégnantes. La politique familiale ne joue pas un rôle majeur en matière de fécondité comparé à ces effets structurels : elle ne fait qu’accompagner ce processus.

L’indicateur le plus pertinent : la descendance finale

L’indicateur le plus pertinent pour juger de l’évolution de la fécondité sur longue période n’est pas l’indice conjoncturel, mais la « descendance finale », beaucoup moins médiatisée. Il s’agit du nombre moyen d’enfants mis au monde au cours de leur vie par une génération de femmes nées une année donnée. On ne connaît sa valeur à peu près définitive qu’à un âge élevé, quand les femmes n’ont plus qu’une faible probabilité d’avoir des enfants, autour de 45 ans. Aujourd’hui, on dispose de ce chiffre pour les générations nées jusqu’au milieu des années 1970. Les femmes nées en 1975 – dernier chiffre connu – ont eu en moyenne deux enfants, un petit peu plus que celles nées à la fin des années 1960. Ce chiffre a de bonnes raisons de rester stable puisque les femmes nées au milieu des années 1980 ont eu à 35 ans autant d’enfants (1,8) que celles nées dans les années 1970 au même âge.

La descendance finale a beaucoup baissé entre les générations nées au début des années 1930 et celles nées à la fin des années 1940, passant de 2,6 à 2,1 enfants par femme. Les générations de filles nées à cette période ont été scolarisées plus longtemps, ont accédé au marché du travail et à l’autonomie. La légère baisse intervenue pour les générations des années 1960 (de 2,1 à 2 enfants par femme) peut être liée aux difficultés économiques – il s’agit des premières générations qui ont connu le chômage de masse -, à l’allongement des scolarités et à une meilleure diffusion de la contraception.

Le niveau actuel de deux enfants par femme conduit à une population stable sur le long terme compte tenu d’une faible part d’immigration (voir encadré ci-dessous). Une sorte d’équilibre qui à l’avenir évite de trop peser sur les ressources naturelles, sans voir notre pays se vider de ses habitants. Toute la question est de savoir si la fécondité française demeurera une exception en Europe ou si elle va converger à terme vers un niveau inférieur, comme dans de nombreux autres pays, mais ce n’est pas le cas pour l’instant.

L’une des questions essentielles est de savoir jusqu’où peut s’élever l’âge de la maternité et notamment comment évolueront les normes sociales dans ce domaine. Depuis les années 1980, « La fécondité après 40 ans ne cesse d’augmenter », remarque Fabienne Daguet dans une étude de l’Insee2. « L’allongement des études, les mises en couple plus tardives, le désir d’être stabilisée dans sa vie professionnelle avant d’avoir des enfants, les remises en couple plus fréquentes et le désir d’avoir un enfant du nouveau couple ont contribué à reporter l’âge à la maternité », écrit-elle.

Nous n'avons pas "besoin" de 2,1 enfants par femme pour stabiliser la population

Régulièrement, on lit qu'il faut 2,1 enfants par femme pour éviter que la population diminue, ce qui est faux. Ce chiffre n'est valable que si l'on ne tient pas compte de l'immigration. Pour que la population stagne, il faut qu'une femme ait au moins une fille en moyenne. Pour que chaque femme ait une fille, il lui faut deux enfants. Mais tous les enfants ne vivront pas jusqu'à l'âge d'avoir des enfants, d'où le 0,1 en plus qui comble l'effet de la mortalité entre 0 et 30 ans environ (c'est même un peu moins aujourd'hui). En pratique, notre pays a toujours connu un apport migratoire et même avec 1,7 ou 1,8 enfant par femme, la population ne baisserait pas. Il faut d'abord se demander si une baisse de population est vraiment si grave, question polémique dans un pays qui fait une fixation sur sa natalité. En fait, la question de fond qu'il faut se poser est plutôt : les couples ont-ils le nombre d'enfants qu'ils désirent ?

Notes:

  1. Combien d’enfants ont été mis au monde par âge des mères
  2. « La fécondité après 40 ans ne cesse d’augmenter », Fabienne Daguet, Insee première n°1885, janvier 2022.