2,6 millions de chômeurs1 étaient inscrits à Pôle emploi depuis plus d’un an fin 2019, soit deux fois plus que dix ans auparavant. Ce niveau historiquement élevé est le signe d’un dérèglement profond et durable du marché du travail. Dès 1985, le taux de chômage atteignait 8,5 % de la population active en France. Depuis, il n’est jamais descendu sous les 7 % (en janvier 2008). La faiblesse de la croissance de l’activité économique depuis 2001, la crise financière de 2008-2009 et la forte dégradation de l’emploi qui a suivi ont conduit le nombre de demandeurs d’emploi de longue durée au sommet où il est aujourd’hui. Depuis début 2016, le chiffre s’est stabilisé mais la reprise de la croissance est trop lente. La diminution du chômage semble profiter peu à ceux qui y sont inscrits depuis le plus longtemps.

Voici l’évolution qui ressort des données de Pôle emploi. On comptabilise des personnes inscrites officiellement auprès de l’institution dans l’espoir d’être accompagnées pour retrouver un emploi et percevoir une indemnité (toutes ne sont pas indemnisées). Le portrait dessiné par les données de l’Insee est très différent. Selon cet institut, on compte seulement un million de chômeurs qui sont dans cette situation depuis plus d’un an, 2,6 fois moins ! Le nombre reste élevé, mais il a baissé de 30 % depuis 2016.

Alors, qui croire ? Le chômage de longue durée mesuré par l’Insee (selon la définition du Bureau international du travail) en donne la vision la plus stricte. La mesure du chômage est différente : il s’agit d’une enquête auprès de la population. Le problème c’est qu’il suffit – c’est une règle internationale – alors d’avoir travaillé une heure dans la semaine de l’enquête pour ne plus être comptabilisé comme chômeur. Inversement, Pôle emploi inclut dans le chômage de longue durée les personnes qui ont exercé le mois précédent une activité réduite (contrats courts, temps partiel) mais qui poursuivent leur recherche d’emploi. Ce que traduit la différence entre les deux courbes c’est l’essor d’une zone grise de l’emploi, composée de personnes qui vivotent avec des « petits boulots » pendant une durée de plus en plus longue tout en étant inscrits au chômage. Au sens strict, le chômage de longue durée a bien baissé, mais la reprise n’est pas d’une ampleur assez forte pour aboutir à de véritables emplois durables. Une partie de ceux qui ont quitté les statistiques de l’Insee demeurent inscrits à Pole emploi car ils comptent toujours reprendre un emploi à temps plein et stable. Bref : on a bien davantage d’emplois, mais de moins bonne qualité.

Qu’il touche un ou 2,6 millions de personnes, le chômage de longue durée est un phénomène très préoccupant. Une statistique peu diffusée (voir graphique ci-dessous) devrait attirer l’attention. En dix ans, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits depuis plus de trois ans sur les listes de Pôle emploi a été multiplié par trois, de 300 000 à un million de personnes. L’amélioration de l’activité à partir de 2016 n’a fait qu’infléchir la courbe, mais ce nombre continue à progresser. Il traduit un double phénomène désormais structurel. D’un côté, des chômeurs qui s’installent dans une économie de petits boulots cumulés à une maigre indemnisation. De l’autre, des demandeurs d’emploi qui n’arrivent pas à remettre le pied sur le marché du travail faute de qualifications ou du fait de la dégradation de l’emploi (bas salaires, temps partiel, précarité, etc.). Dans les deux, cas il s’agit de vies souvent compliquées, qui touche surtout les actifs peu qualifiés. La baisse globale du chômage ne devrait pas conduire à minimiser cette question dont les répercussions sociales sont grandes.

Notes:

  1.  Données pour les catégories A, B et C.