A 26 ans, un jeune né entre 1984 et 1988 touchait en moyenne 20 980 euros par an contre 18 020 euros pour celui de la génération née entre 1969 et 1973, selon l’Insee1. Chaque courbe de couleur du graphique ci-contre représente le niveau de vie des personnes nées à une période donnée (une génération), à différents âges2.

Le premier point de chaque courbe se situe toujours au-dessus de la génération précédente : à ce niveau du parcours, chaque génération a un niveau de vie supérieur à la précédente. A 26 ans, le niveau de vie de la génération 1984-1988 dépasse de 16 % celui de la génération 1974-1978. A 41 ans, celui de la génération 1969-1973 est supérieur de 18 % à celui des personnes nées entre 1954 et 1958. Cette observation tend à relativiser les discours sur l’impact du ralentissement de la croissance sur les générations puisque le niveau de vie progresse régulièrement. De même, toutes les courbes stagnent en fin de période, ce qui veut dire que chaque génération est marquée par la crise récente, aucune n’y échappe sauf peut-être ceux nés entre 1939 et 1943 (aujourd’hui à la retraite).

Cet optimisme doit être nuancé. Chaque génération n’est observée que durant une quinzaine d’années, au mieux. Les plus anciennes données de l’Insee datent de 1996. Prenons par exemple la génération 1964-1968 : on ne connaît que son parcours entre 31 et 46 ans. On ne sait pas ce que sera l’avenir des générations récentes. A 26 ans, la génération 1984-1988 ne fait pas mieux que la précédente 1979-1983 (les courbes se touchent) : demain, il est possible qu’elle ait un revenu inférieur. On ne connaît pas non plus les trajectoires passées des générations anciennes : les données pour la génération 1919-1923 ne commencent qu’à 76 ans ! Enfin, les inégalités sont grandes à l’intérieur des générations, ce graphique n’en révèle rien. Surtout : le dernier point de chaque courbe touche la précédente dans presque tous les cas. Cela veut dire que le niveau de vie de la génération d’après est équivalent à celui de la génération d’avant. Par exemple, la génération 1964-1968 gagnait 23 530 euros à 46 ans (dernier point connu), quasiment la même chose que la génération 1959-1963 au même âge. Pourtant, à 36 ans, les premiers touchaient 9 % de plus que les seconds. Les générations nouvelles commencent mieux dans la vie mais finissent par stagner au niveau de la précédente, faute d’augmentation des niveaux de vie.

Les données sur la distribution des revenus par âge au fil du temps publiées par le sociologue Louis Chauvel3 montrent bien comment les écarts se sont creusés au fil du temps.  Entre 1980 et 2010, le niveau de vie des jeunes s’est certes amélioré, mais sans commune mesure avec celui des 45-60 ans. « En 1978, les différentes classes d’âge disposaient d’un revenu semblable, alors qu’en 2010, dans la compétition pour l’accès aux biens marchands (immobilier, alimentation, vacances, etc.) la situation des jeunes s’est dégradée, sauf à bénéficier de l’aide de leur parents », analyse le sociologue. Les générations les plus récentes vont disposer de niveaux de vie très inférieurs à ceux de leurs aînés, mais il leur reste l’espoir, plus ou moins fondé, de se « refaire » au fil du temps. En revanche, pour une partie des générations intermédiaires, qui a subi les conséquences de la crise, les dés sont jetés : les 40-55 ans de 2017 ne rattraperont sans doute jamais le retard pris. D’une manière générale, comme les écarts entre milieux sociaux avec qui elles se complètent, ces inégalités de niveau de vie entre générations, souvent occultées, contribuent à alimenter les tensions sociales.

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Notes:

  1. Tiré de l’ouvrage annuel « Les revenus et le patrimoine des ménages », Insee-références, Insee, juin 2016.
  2. Données en euros constants (après inflation) pour l’équivalent d’une personne seule, après impôts et prestations sociales.
  3. Voir « La spirale du déclassement. Essai sur la société des illusions. », Seuil, septembre 2016.