La France est confrontée à une forte progression de sa population étudiante. Entre 2010 et 2020, les effectifs de l’enseignement supérieur ont progressé de près de 500 000, une hausse supérieure à 20 %, selon le ministère de l’Éducation nationale. La rentrée 2021 devrait prolonger ce phénomène avec 34 000 étudiants de plus, l’équivalent d’une université de bonne taille. Cette vague est d’une ampleur similaire – en nombre – à ce qui s’était produit dans les années 1980 et 1990. Au total, entre 1960 et 2020, la population étudiante a été multipliée par sept, de 300 000 à 2,8 millions.

Cette vague dans l’enseignement supérieur est ancienne. Elle est en partie l’effet du développement de formations hors université, comme les écoles de commerce, les formations du secteur sanitaire et social ou les instituts d’études politiques. Une part de ces jeunes étudie dans le secteur privé à des tarifs très élevés, notamment en école de commerce. La progression touche aussi l’université qui a dû accueillir plus de 200 000 étudiants supplémentaires au cours de ces dix dernières années. Un changement de taille : ses effectifs stagnaient depuis le milieu des années 1990 autour de 1,4 million, contrastant avec l’expansion massive de la période 1984-1994 (+ 500 000 étudiants).

La croissance du nombre d’étudiants est le résultat d’un triple mécanisme. Les générations nées à la fin des années 1990 et jusqu’en 2000 sont un peu plus nombreuses. Surtout, une part croissante de celles-ci atteint le niveau du bac et poursuit alors ses études. Entre 2010 et 2020, la part de bacheliers dans une génération est passée de 65 % à 87 %. Quand ils entrent dans l’enseignement supérieur, les étudiants y restent plus longtemps. La transformation des Diplômes universitaires de technologie en Bachelors universitaires de technologie, de deux années en trois années, est une bonne illustration de l’allongement des scolarités.

On mesure mal encore l’ampleur du phénomène en France. D’abord sur les conditions d’études. Non préparée et faiblement accompagnée par les pouvoirs publics, cette vague pèse sur l’encadrement des étudiants. À l’université, le ratio entre le nombre d’élèves par enseignant (titulaires et précaires compris) est remonté à 24 en 2020 alors qu’il avait diminué de 22 à 20 dans les années 2000. Ce ratio moyen, qui mélange des IUT, BTS, classes préparatoires et l’ensemble des filières universitaires ainsi que l’ensemble des établissements signifie que dans certaines disciplines et certaines universités la dégradation est bien plus grande. Ceci est d’autant plus étonnant que les nouveaux entrants, issus de milieux souvent moins favorisés, auraient besoin d’un encadrement renforcé.

Ensuite, la hausse du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur pose la question des débouchés. L’emploi qualifié progresse, mais est-ce suffisant pour accueillir tous les nouveaux diplômés ? Le cursus universitaire et les formations correspondent-ils aux besoins en qualifications des emplois ? Un embouteillage est prévisible au niveau des sorties en master. Déjà, de nombreux diplômés se retrouvent déclassés, avec des emplois qui ne correspondent pas à leurs aspirations. Cette question risque de devenir encore plus vive demain. L’université, saturée, se trouve devant une alternative : faire évoluer encore ses formations avec des moyens nouveaux ou fermer le robinet à l’entrée en sélectionnant encore davantage. Ce qui poserait alors la question du sort de ceux qui en seront rejetés.

Cette évolution joue dans bien d’autres domaines. L’offre de logements spécifiquement destinés aux étudiants ne suivant pas, la demande de petites surfaces augmente dans le parc privé ainsi que les loyers. La poursuite d’études des enfants pèse sur le niveau de vie de familles modestes ou moyennes. Compte tenu notamment du faible niveau des bourses d’enseignement supérieur, une partie des étudiants doit mener des études en parallèle et travailler un grand nombre d’heures. Elle vit parfois dans des conditions – notamment de logement – incompatibles avec la poursuite d’études.