Cadres, ouvriers, employés… Comment décrire la place des groupes sociaux ? La France dispose d’un solide outil, construit au milieu des années 1950 pour tenir compte des transformations de l’emploi : la nomenclature dites des « catégories socioprofessionnelles » (les « CSP »). Cet outil rassemble les personnes en grands groupes à partir de leur profession, suivant plusieurs critères (diplôme, revenu, place dans la hiérarchie, etc.). Il est très utilisé dans le débat public.
Cette nomenclature a été construite alors que seule la moitié des femmes exerçait une activité rémunérée, contre 95 % des hommes. Dans l’immense majorité des cas, ces derniers occupaient une profession de niveau social supérieur à celle des femmes. L’emploi du mari était à l’époque une approximation satisfaisante de la situation sociale du ménage. D’ailleurs, jusqu’en 2015, c’était encore la position sociale de l’homme dans le couple qui prévalait. Depuis, c’est celle de l’actif le plus âgé.
En 70 ans, les choses ont changé. Plus de 40 % des cadres sont des femmes, et le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans dépasse les 80 %. Résumer le niveau social d’un ménage à celui des hommes dans l’emploi, ou même à la situation de la personne la plus âgée, pose un problème. Depuis 2018, un travail important a été mené pour déterminer des catégories en étudiant la position des deux conjoints ensemble, dont les premiers résultats ont été présentés dans la revue Économie et Statistique de l’Insee 1. Il permet, par exemple, de prendre en compte le surcroît de revenu apporté dans le cas de deux actifs de niveau élevé.
Les auteurs ont construit sept grandes catégories, en rassemblant les couples de position sociale semblable2. En haut de la hiérarchie, on trouve les ménages composés de deux cadres supérieurs ou d’un couple cadre supérieur/profession intermédiaire. Ils forment un peu moins de 9 % des ménages. Ensuite, viennent les ménages à « dominante intermédiaire » (17,8 % de l’ensemble) et à « dominante employée » (21,7 %) qui forment les classes moyennes qu’on pourrait dire « supérieures » et « inférieures ». On peut sans doute y ajouter une partie des 8,5 % du groupe suivant, les « petits indépendants », agriculteurs, artisans, commerçants (sauf s’ils sont en couple avec un conjoint cadre ou profession intermédiaire). Enfin, viennent les ménages ouvriers (10,6 %), ou composé d’un seul actif employé ou ouvrier (26 %), et les inactifs (6,6 %)3.
Cette nouvelle typologie permet de décrire dans le détail les niveaux de vie, de patrimoine, d’éducation, des différents groupes. Ainsi, 30 % des ménages de cadres (sans les retraités) peuvent être qualifiés de « riches » pour les auteurs qui utilisent la même définition de la richesse que celle de l’Observatoire des inégalités, située au double du niveau de vie médian. 68 % d’entre eux figurent parmi les 20 % les plus aisés. Alors que 90 % des enfants des ménages à dominante cadre sont orientés en seconde générale ou technologique, ce n’est le cas que de 42 % de ceux des ménages à dominante ouvrière.
Si on la compare à la répartition des emplois par catégorie sociale en fonction des emplois occupés, cette nomenclature divise par deux la part des cadres supérieurs et des ouvriers, de 20 % à 10 %4. Elle rappelle la place occupée par les milieux populaires dans notre pays. Pour les ménages d’inactifs ou formés d’une seule personne (hors retraités ou de 60 ans ou plus), le taux de pauvreté dépasse 70 %. Dans ceux composés d’un seul actif, ouvrier ou employé, soit sans conjoint, soit avec une personne inactive, il est supérieur à un tiers. Dans une société où l’activité professionnelle s’est généralisée, cette nouvelle nomenclature fait aussi apparaître le poids de l’inactivité dans la position sociale.
Ce nouvel outil doit être discuté et complété. Par exemple, inclure dans une même catégorie (« ménages à dominante intermédiaire ») un couple cadre/ouvrier et cadre seul ne va pas de soi. Mélanger des couples et des individus seuls n’est pas évident non plus : on pourrait isoler les deux types de ménages. Pour autant, comme l’indiquent les auteurs, nous disposons bien désormais d’une « nouvelle grille de lecture de la société ». Elle permet de mieux rendre compte de la situation réelle des groupes sociaux en France que les nomenclatures précédentes et montre comment la catégorie sociale joue toujours un rôle majeur dans l’explication des comportements et des modes de vie. Il ne reste plus qu’à espérer que les chercheurs s’en emparent.
Notes:
- « Une nouvelle nomenclature, la PCS ménage », Thomas Amossé et Joanie Cayouette-Remblière, Économie et Statistique n°532-533, Insee, juillet 2022. Voir aussi le site www.nomenclature-pcs.fr ↩
- Les retraités sont classés en fonction de leur profession au moment de la retraite. ↩
- Dans ces deux derniers cas, il peut s’agir d’une personne avec ou sans conjoint. ↩
- La nouvelle nomenclature porte sur l’ensemble de la population, elle comprend donc des personnes retraitées parmi lesquelles on compte davantage d’ouvriers et moins de cadres, mais cela ne change que marginalement les choses. ↩