L'école française, royaume des inégalités et du décrochage ? La thèse est devenue un lieu commun du débat public, repris par tous les commentateurs, quel que soit leur bord politique. Pourtant, notre modèle d’éducation et de formation est surtout mal classé en matière de formation des adultes, selon les données européennes1. Dans le domaine de l'échec et des inégalités scolaires, la France n’est pas en si mauvaise position2 contrairement à ce que l'on indique en se fondant un peu vite sur les résultats de l'étude Pisa3 de l'OCDE.

La France est l’un des pays qui comptent le plus de diplômés de l’enseignement supérieur au sein des générations récentes (lire notre article) : ils représentent 43,6 % des 30 à 34 ans (données Eurostat pour 2012), contre 35,7 % en moyenne européenne, 40 % en Espagne, 32 % en Allemagne et même seulement 21,7 % en Italie. Parmi les pays les plus peuplés, seul le Royaume-Uni fait mieux avec 47 %. Pourtant, l'Hexagone a longtemps été à la traîne dans ce domaine, du fait d’un développement tardif de l’université, dans les années 1980. Bien entendu, il faudrait ensuite examiner la qualité des enseignements : l'enseignement supérieur français est très inégalitaire entre des filières sélectives dotées de large moyens et les autres.

L’Hexagone est parmi les pays qui comptent le moins de sortants précoces du système scolaire4, toujours selon les données d'Eurostat. En 2013, un peu moins de 10 % des 18-24 ans ont quitté l’école prématurément (lire notre article) : la France se situe au niveau de l’Allemagne, bien au-dessous de la moyenne de la zone euro (13,7 %) de l’Italie (17 %) ou de l’Espagne (23,6 %). Seuls la Suède, l’Autriche et le Danemark font vraiment mieux, comptant entre 7 et 8 % de sortants précoces. Bref : l'échec scolaire est loin d'être une spécialité hexagonale.

En matière de reproduction sociale, la France n’est pas si mal située non plus. Eurostat a réalisé en 2011 une étude sur le niveau de diplôme des enfants en fonction de celui des parents5. Si l’on considère les descendants des parents peu diplômés (ayant au mieux le niveau de fin de troisième), 22 % sont eux-aussi peu diplômés en France, contre 34 % en moyenne dans l’Union européenne. Parmi les grands pays, seul le Royaume-Uni fait mieux avec 16 %. La persistance de bas niveaux de diplômes est bien plus forte en Allemagne (36 %), Espagne ou Italie (50 %). Inversement, 23 % des descendants de parents peu diplômés ont eu accès à l’enseignement supérieur en France, contre 18 % en moyenne dans l’UE, 16 % en Allemagne et seulement 9 % en Italie. Le Royaume-Uni (32 %) et l’Espagne (27 %) font mieux.

En revanche, notre retard est très important en matière de formation professionnelle, nous disent les enquêtes européennes. La France arrive en queue de peloton, juste après la Grèce, avec seulement 5,7 % des adultes de 25 à 64 ans ayant suivi un cours ou une formation en 2012, contre 9 % en moyenne en Europe, 6,6 % en Italie, 8 % en Allemagne, 10,7 % en Espagne et 15,8 % au Royaume-Uni. C'est surtout cette deuxième chance qui fait défaut.

Dresser un état des lieux des systèmes d'éducation et de formation à partir de la seule enquête dite Pisa, comme c'est le cas le plus souvent, reste insuffisant. Celle-ci comporte de très nombreux biais : elle ne porte que sur la compréhension de l'écrit, les mathématiques et les sciences, elle est réalisée auprès de jeunes de 15 ans dont en France une partie des jeunes est au collège et une autre au lycée (du fait des redoublements), les catégories sociales y sont déclarées par les enfants et les jeunes Français ne mettent pas beaucoup d'ardeur dans une enquête qui n'apporte rien en terme de notation.

L'école française "n'augmente" pas les inégalités comme on l'écrit aussi régulièrement. Pour le comprendre, il suffit d'imaginer le niveau des inégalités si le système éducatif public n'existait pas. Les catégories populaires resteraient quasi-illettrées faute d'avoir les moyens de se payer une formation. La plupart des autres systèmes éducatifs – hormis des pays du Nord de l'Europe – ne font pas vraiment mieux en termes de réduction des inégalités et de lutte contre l'échec scolaire.

L'argument de la comparaison internationale le plus utilisé n'est donc pas vraiment le bon. Ce qui n'empêche que l'école française peut largement mieux faire. Les inégalités ont tendance à y augmenter. Notre système repose sur une pédagogie rigide, qui laisse une grande place à l'apprentissage par cœur et à la compétition entre des élèves poussés par la peur de l'échec. Il se distingue surtout par le fait qu'il est parmi les plus anxiogènes : on y apprend, mais dans de mauvaises conditions. Les filières les plus sélectives (les « grandes écoles » de haut niveau) sont réservées à une poignée d’élèves socialement triés. En revanche, la France reste très en retard en matière de formation professionnelle, c'est certain.

 

Notes:

  1. Voir "Réduire les sorties précoces : un objectif central du programme "éducation et formation 2020", Florence Lefresne, in "La France dans l'Union européenne 2014", Insee, 2014, et du même auteur "Diplômés de l'enseignement supérieur : des situations contrastées en Europe", Note d'information n°5, mars 2014, ministère de l'Education.
  2. Pour aller plus loin voir aussi "The Education and Training Monitor 2014", Eurostat, décembre 2014.
  3. Enquête internationale sur le niveau scolaire dans le domaine des sciences des mathématiques et de la compréhension de l’écrit.
  4. Sortis avec au mieux le brevet de fin de troisième et qui ne suivent aucune formation
  5. Voir : "Is the likehood of poverty inherited ?", Sigita Grundiza et Christina Lopez Vilaplana, Statistics in focus 27/2013, Eurostat".