Les meurtres occupent une large place dans la chronique des faits divers, mais on oublie de rappeler une tendance très nette : on s’entretue de moins en moins. Il y a 20 ans, on comptait 1 600 meurtres par an, aujourd’hui, on en dénombre deux fois moins. Le taux d’homicides a baissé de 3 à 1,4 pour 100 000 habitants entre 1993 et 2021. Depuis 2008, le nombre d’assassinats (hors impact du terrorisme)1 est resté stable autour de 800-900 par an, ce qui suffit pourtant à alimenter la chronique médiatique tous les jours.

Selon le sociologue Nicolas Bourgoin2, la baisse des homicides remonte à la fin du Moyen Âge.  À partir de cette période, les violences entre les personnes sont de plus en plus contrôlées par l’Etat. En France, le dernier duel à l’épée a eu lieu en 1967. Comme le note un autre sociologue, Laurent Mucchielli, ce processus s’est renversé dans les années 1970 jusqu’au milieu des années 1980 : « Depuis la Première Guerre mondiale, c’est la seule période où l’homicide a augmenté durablement en temps de paix. »3. Au cours de cette période, le chômage a été multiplié par six pour les hommes, ce qui peut constituer l’une des explications. L’immense majorité des crimes sont commis par des hommes vivant dans une situation de grande précarité : le lien au travail est l’une des formes d’intégration sociale. « 90 % des sujets actifs [les auteurs de crimes] appartiennent aux milieux populaires et se situent dans les plus basses tranches de revenus », note Laurent Mucchielli. Dans le même temps, cette période est marquée par de nombreux crimes racistes à la suite de la guerre d’Algérie.

Comment expliquer la baisse du nombre d’homicides depuis les années 1990, alors que le chômage et la précarité demeurent à un niveau élevé ? Les données de longue période (voir le second graphique ci-dessous, les données ne sont pas exactement comparables) montrent que la baisse qui suit les années 1990 constitue une sorte de retour à la normale après un pic dans les années 1980.  On peut penser que le chômage et la précarité ont été intégrés, comme « normalisés ». L’effet du choc est passé. Pour Laurent Mucchielli, la diminution des homicides résulte aussi du déclin des crimes racistes et plus généralement de la violence politique, de la réduction des règlements de compte armés entre bandes, ainsi que de la diminution des violences extrêmes lors de braquages. « La chute des homicides pour vols (en particulier ceux générés par les braquages de banques ou de fourgons blindés) dans la statistique de police explique en partie la forte baisse globale des homicides à partir de 1994 », indique-t-il4. Au-delà, un processus de stigmatisation, de rejet de la violence extrême5, dont on retrouve plus particulièrement l’écho aujourd’hui dans les violences faites aux femmes, semble avoir repris son cours, après l’intermède des années 1970-1980.

Quelle sera la tendance demain ? Depuis une dizaine d’années, le nombre d’homicides est resté stable. La tendance à la baisse est interrompue. S’agit-il seulement d’une pause dans un mouvement de baisse de très longue période ? Avons-nous atteint un plancher, celui qui était déjà atteint dans les années 1950-1960 ? Pour réduire encore le phénomène, on peut imaginer de mettre en place des niveaux de surveillance poussés, qui ne seraient alors pas forcément incompatibles avec les libertés individuelles. Et encore, l’efficacité de ces dispositifs, comme la vidéosurveillance, est très discutable.

Évolution du taux de condamnation pour homicide (pour 100 000 habitants) sur très longue période

Source : La révolution sécuritaire, Nicolas Bourgoin, éd. Champ social, 2013, d’après la Statistique annuelle des condamnations.

Notes:

  1. Une rupture de série en 2016 rend la comparaison difficile sur la période.
  2. Voir La révolution sécuritaire, Nicolas Bourgoin, éd. Champ social, 2013.
  3. Histoire de l’homicide en Europe, sous la dir. de Laurent Mucchielli et Pieter Spierenburg, La Découverte, 2009.
  4. « L’insécurité, un épouvantail électoral à déminer », Laurent Mucchielli, The Conversation, 27 février 2020
  5. Bien décrit dans L’invention de la violence, Laurent Mucchielli, éd. Fayard, 2011.