La hausse des loyers pèse lourdement sur le budget des ménages, en particulier les plus jeunes d’entre eux. Elle réduit leur pouvoir d’achat alors que les salaires n’augmentent guère. Ce phénomène est connu. L’argent des loyers n’est pas perdu pour tout le monde : c’est un revenu pour les propriétaires bailleurs1. Et celui-ci a nettement progressé au cours des dernières décennies. Entre 1984 et 2018, les loyers perçus ont été multipliés par 2,2 après inflation : rares sont ceux dont les revenus ont autant progressé. Les propriétaires bailleurs recevaient 23 milliards au milieu des années 1980, ils en retirent désormais plus de 50 milliards selon le ministère du Logement. De leur côté, les locataires du privé ont dépensé 27 milliards de plus pour se loger. Bien sûr, le nombre de logements et de propriétaires a augmenté. Exprimé par logement le bénéfice est encore plus élevé. Entre 1984 et 2018, le résultat brut courant par logement (le profit une fois les charges2 déduites) des bailleurs privés a été multiplié par trois en euros constants, une fois l’inflation déduite. Une croissance quasiment ininterrompue sauf entre 2008 et 2015. Un logement rapportait en moyenne 1 100 euros par an en 1984 (exprimés en monnaie de 2015), il produit aujourd’hui un gain de 3 500 euros.

Cette évolution résulte en partie de l’amélioration du confort des habitations : il est normal de louer plus cher un bien de meilleure qualité. Les logements neufs répondent à des normes plus strictes et une partie des anciens sont rénovés. Cela n’explique pas tout, comme l’a signalé il y a déjà 15 ans la chercheuse Gabrielle Fack : « L’amélioration de la qualité des logements telle qu’on peut la mesurer ne semble donc pas jouer un grand rôle dans la hausse des loyers des ménages à bas revenus », écrivait-elle alors, tout en signalant que les données sur la qualité des logements demeuraient imparfaites3. Ce sujet ne fait pas couler beaucoup d’encre. Une éautre tude de l’Insee a montré que les aides aux logements pouvaient permettre, dans certains cas, aux bailleurs d’augmenter leurs loyers4. Mais la question ne fait guère l’objet d’autres travaux scientifiques, à notre connaissance.

Une partie de la population française s’est enrichie en devenant propriétaire et en louant des logements à un prix élevé. La hausse des loyers a produit un vaste transfert de richesse des ménages locataires vers les bailleurs privés, plus fortunés et souvent plus âgés. Les bailleurs sont en position de force dans un marché où la demande est élevée et où les prix ont longtemps été peu encadrés, ce qui joue plus surtout pour les petites surfaces. Autant le mal-logement est médiatisé, autant ce basculement est négligé. La hausse des loyers touche en majorité des jeunes adultes vivant dans les grandes villes (notamment Paris) et se trouve noyée dans l’évolution globale des prix. Elle a pour conséquence une forte baisse du niveau de vie réel des locataires une fois le coût du logement déduit et/ou la nécessité de vivre dans des espaces contraints (petite surface, colocation tardive, etc.). Dans le logement social aussi les loyers ont augmenté plus vite que les prix : une partie de l’effort de rénovation urbaine entrepris à partir de 2005 a été financée par les locataires du secteur social eux-mêmes.

Notes:

  1. Ceux qui louent des biens immobiliers.
  2. Entretien, impôts, intérêts des emprunts, etc.
  3. « Pourquoi les ménages paient-ils des loyers de plus en plus élevés », Economie et statistique n °381-382, Insee, 2005.
  4. « L’impact des aides au logement sur le secteur locatif privé », Insee analyses n° 9, novembre 2014.