Assistons-nous à la fin de la télévision ? Les données publiées par Médiamétrie chaque année font apparaître une chute spectaculaire de l’audience de la télévision. La durée passée devant le petit écran a diminué de 30 minutes par personne entre 2020 et 2022. Du jamais vu dans l’histoire des statistiques d’audience. Cette durée avait commencé à fléchir au milieu des années 2010, mais la baisse s’accélère nettement1.

Bien sûr, la soirée télé reste, de très loin, la première activité des Français. Elle rythme notre quotidien, façonne nos modes de vie. Le plus souvent, c’est devant le poste que les familles se rassemblent. En particulier, le journal télévisé de 20 heures reste un moment phare pour des millions de foyers. Chaque jour, les Français consacrent 3h26 en moyenne à la télévision, si on intègre tous les types de visionnage, y compris à l’extérieur du domicile et en replay (hors télévision par abonnement, sur Netflix par exemple). En moyenne, 44 millions de Français regardent le petit écran chaque jour. Les grands événements sportifs ou politiques rassemblent : 24 millions de personnes ont suivi la finale de la coupe du monde de football du 18 décembre 2022, un record historique. Les plus âgés sont, de très loin, les plus assidus : les plus de 50 ans y consacrent en moyenne 5 heures 23 minutes chaque jour, les 15-34 ans 1h25 et les 4-14 ans 1h012.

Le boom de la télévision date des années 1960, il est alors fulgurant. À l’époque, moins d’un foyer sur cinq est équipé. En 1970, les trois quarts le sont et en 1980 c’est presque la totalité. Une lucarne sur le monde a débarqué à domicile. Entre 1982 et 1991, l’audience par foyer (elle est alors mesurée ainsi, voir le graphique « Temps passé par foyer ») est passée d’un peu moins de trois heures à un peu plus de cinq heures par jour. La durée individuelle (nouvelle mesure de l’audience depuis 1999, voir graphique) augmente d’environ trois heures par jour à la fin des années 1990 à 3h40 au début des années 2010, pour partie en raison de l’apparition des chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre. C’est à cette période que s’amorce le déclin.

Le début de la fin ?

La baisse depuis 2020 est spectaculaire. La concurrence des autres formes d’écrans (ordinateurs ou jeux vidéo) existe depuis longtemps, mais, jusqu’à récemment au moins, ils semblaient complémentaires : l’audience globale des écrans augmentait. Ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui. Les emplois du temps ne sont pas extensibles à l’infini et la durée passée devant Internet (tous usages confondus) a explosé : selon Médiamétrie, chaque individu y consacre 2h26 par jour en moyenne, contre 50 minutes en 2012. La chute de l’audience de la télévision est marquée chez les plus jeunes depuis 20 ans. Pour les jeunes, ordinateurs et smartphones dominent : les 15-24 ans passent plus de temps sur Internet que devant la télévision. Youtube est devenu la chaîne favorite de bon nombre d’adolescents et de jeunes adultes. Le soir, il ne reste souvent plus que les adultes devant la télévision, les enfants regardant leur propre canal de diffusion. Mais la grande nouveauté c’est que la baisse touche désormais tous les âges. Les plus de 50 ans ont regardé la télévision 23 minutes de moins entre 2020 et 2022. Les plus âgés se mettent aussi aux nouvelles pratiques.

Allons-nous vers l’extinction du petit écran ? La baisse de l’audience de la télévision classique gratuite est en partie compensée par l’essor de la télévision à la demande par abonnement : fin 2021, un quart des internautes indiquaient avoir visionné un programme de ce type 3. L’amélioration de la qualité de l’image TV, du nombre de chaînes et la progression de la taille des écrans favorisent le visionnage de films à la maison. Dans les prochaines années, c’est surtout la télévision « classique » (chaînes gratuites visionnées en direct) qui pourrait connaître un effondrement comparable au cinéma, dont le nombre d’entrées a été divisé par deux au cours des années 1960. Cela ne voudra pas dire pour autant que le temps passé à se divertir devant un écran va se réduire.

Au fond, trois grandes questions devraient être examinées : combien de temps consacrons-nous à visionner des programmes via la télévision ou un autre écran ? Consommons-nous des images collectivement (comme au « bon vieux temps de la télé ») ou individuellement ? Et quels sont les types de programmes regardés ? Malheureusement, les données publiques ne nous permettent pas d’y répondre.



La télé, ou la distinction renversée
Dans les années 1960-1970, posséder un poste de télévision était un signe de distinction. Aujourd'hui, il est de bon goût dans les milieux éduqués de ne pas en avoir ou de la cacher, notamment de peur de ses conséquences pour le cerveau des jeunes enfants. Selon l'Insee, 98 % des ouvriers sont équipés d'au moins un poste, contre 93 % des cadres supérieurs (données 2014). C'est donc surtout une minorité très diplômée parmi les plus favorisés qui résiste au petit écran, et qui préfère l'ordinateur et Internet. En 2010 (dernières données disponibles), selon l'Insee, les ouvriers avaient passé en moyenne trois heures par jour devant le petit écran, contre 1h54 pour les cadres supérieurs. Ces derniers consacraient 1h26 par jour à l'ordinateur, contre 36 minutes pour les ouvriers. Avec l'élargissement de l'accès aux nouvelles technologies, il est en train de se passer la même chose pour : ne pas être connecté, notamment aux réseaux sociaux, devient une distinction.

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Notes:

  1. Depuis 2020, la prise en compte du visionnage de la télévision à l’extérieur du domicile crée une rupture de série importante
  2. Il s’agit de données moyennes sur l’ensemble d’une semaine, week-ends et congés compris. Les services de télévision à la demande par abonnement (comme Netflix) ne sont pas comptabilisés.
  3. Les données sur l’évolution de la durée moyenne ne sont pas publiques