Dans les sondages, les Français se disent massivement convaincus de la nécessité de combattre le racisme avec la plus grande énergie. À la question « pensez-vous qu’une lutte vigoureuse contre le racisme est nécessaire en France ? », ils répondent « oui » à plus de 80 %, dont 56 % « oui tout à fait » et 26 % « oui plutôt ». Seuls 6,1 % répondent « non pas du tout », selon un sondage réalisé en 2022 pour le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)1.

Au-delà de ce constat, tout indique que l’anti-racisme progresse. La part de personnes qui estiment qu’il existe des  « races supérieures à d’autres » a été quasiment divisée par trois (de 14 % à 5 %) au cours des vingt dernières années. La proportion de celles qui pensent que « toutes les races se valent » a baissé entre la fin des années 2000 et le début des années 2010 et atteint 57 % en 2022. En contrepartie, le pourcentage de ceux qui pensent que les races n’existent pas a plus que doublé entre 2002 et 2019, de 16 % à 36 %.

À la question « êtes-vous raciste vous-même ? », plus de 60 % de la population indique « pas du tout », proportion qui fluctue entre 40 % et 50 % depuis le début des années 2000 et qui a nettement augmenté entre 2013 et 2017. La part de ceux qui répondent « un peu » ou « plutôt » raciste fait le chemin inverse en 20 ans. En 2000, plus de 10 % de la population se disait « plutôt raciste », en 2022 ils ne sont plus que 2 %.

Ces chiffres ont des limites. On peut s’affirmer antiraciste dans une enquête (notamment en face à face avec un enquêteur) et l’être en pratique, plus ou moins consciemment. Depuis 2017, la police et la gendarmerie enregistrent davantage d’actes à caractère raciste (lire notre article). La mesure du phénomène est difficile à établir, car on ne sait pas dire si cette évolution est liée aux pratiques racistes ou au fait qu’on les combat davantage. Par ailleurs, les données d’opinion constituent des moyennes qui masquent des réponses différentes selon l’âge ou le milieu social par exemple. Quoi qu’il en soit, il reste un élément fort du point de vue des valeurs : sur longue période, la tolérance gagne du terrain.

Pour aller plus loin et mesurer ce phénomène, le sociologue Vincent Tiberj a mis au point un indice global de tolérance qui fait la synthèse d’un ensemble de questions autour du racisme ou du rejet de l’autre2, dont six ont été posées sur une durée de 20 ans. Hormis la baisse de 2012-2014, l’indice oscille depuis 20 ans autour de 60 %, alors qu’il était inférieur dans les années 1990.

De nombreux facteurs influencent les enquêtes sur les valeurs. Comme l’a noté de longue date Vincent Tiberj3, l’élévation du niveau de diplôme et le renouvellement générationnel poussent plutôt à l’ouverture. Le type de majorité politique joue : on déclare davantage de tolérance quand la droite gouverne et d’intolérance quand c’est le tour de la gauche, comme si les sondés voulaient modérer d’éventuels excès.  La médiatisation de la question a aussi un impact. « Ce sont moins les événements en tant que tels qui peuvent influer sur les opinions des individus, que la manière dont ils sont « cadrés » par les élites politiques, sociales et médiatiques. Les responsabilités de ces dernières sont donc particulièrement importantes pour donner le ton, imposer un récit dominant », écrit par exemple la CNCDH dans son rapport 2018. Les discours politiques, ceux des journalistes ou des experts, donnent le « ton » du moment, qui se traduit dans les enquêtes d’opinion, en influençant les plus hésitants.

Ces données livrent deux grands enseignements. Premièrement, les discours xénophobes ont une emprise moins importante sur les valeurs profondes des Français qu’on ne pourrait le croire, vu leur amplification médiatique. Deuxièmement, à l’évidence le succès croissant de l’extrême droite dans notre pays repose sur bien d’autres facteurs que le rejet de l’autre, notamment des attentes fortes dans le domaine des inégalités sociales et du travail.

Notes:

  1. Voir « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2022. », CNCDH, Documentation française, juillet 2023.
  2. Comme « Les musulmans sont-ils des Français comme les autres ? », « L’immigration est-elle la principale cause de l’insécurité ? », etc.
  3. Voir par exemple : « La crispation hexagonale », Vincent Tiberj, Fondation Jean-Jaurès, 2008. ».