La lecture de livres décline en France, selon le ministère de la Culture1. Après avoir diminué dans les années 1970 et 1980, la part de personnes n’ayant lu aucun livre dans l’année s’est remise à progresser dès le début des années 1990 (la courbe verte de notre graphique). La part de lecteurs moyens (en violet, entre 10 et 19 livres l’an) évolue peu, aux alentours de 15 %. À l’origine, dans les années 1970, le phénomène est surtout marqué par la chute des gros consommateurs de livre (courbe bleue), divisée par deux en cinquante ans. Entamée dès les années 1970, elle s’accélère dans les années 1990 et s’est stoppée ces dix dernières années. Le phénomène vraiment nouveau depuis les années 2010 est la chute des « petits » lecteurs (courbe rouge), ceux qui lisent entre un et neuf ouvrages par an, alors qu’elle augmentait auparavant.

Plusieurs facteurs s’entremêlent. L’élévation du niveau de diplôme, la diffusion des collections de poche, l’amélioration de la présentation des livres et leur diversification ont joué un rôle favorable, de même que l’élévation du niveau d’éducation. Mais la population vieillit et les plus âgés, à partir de 70 ans, ont tendance à moins lire. Surtout, la lecture de livres est concurrencée par de nouvelles activités de loisirs : la télévision – dont la durée d’écoute explose dans les années 1980 –, les jeux vidéos, puis l’usage des nouvelles technologies.

Depuis 30 ans, la part de lecteurs de livres diminue chez les plus jeunes, mais la nouveauté est qu’elle s’est affaissée entre les deux dernières enquêtes du ministère, en 2008 et 2018. La part de jeunes n’ayant lu aucun livre a augmenté de 16 points chez les 20-24 ans, de 11 points chez les 15-19 ans et les 25-34 ans. Dans ces tranches d’âge, ce sont surtout les petits lecteurs qui semblent avoir abandonné le livre. Une inversion s’est produite, note le ministère. Alors qu’auparavant les jeunes étaient les plus gros lecteurs, ce sont désormais les 35-74 ans. Pour être plus précis, ce phénomène est essentiellement masculin. En quarante ans, la part de non-lecteurs a grimpé de 19 points chez les hommes (de 29 % à 48 %) et de seulement 6 points chez les femmes (de 24 % à 30 %).

Va-t-on vers un abandon progressif de la lecture de livres ? On en est très loin. Les jeunes lisent encore : c’est le cas de 60 % des 15-24 ans. Il y a un effet d’âge : une partie lira bien, mais plus tard dans la vie. Ceci dit, il existe aussi un effet de génération : en vieillissant, même s’il y a un rattrapage, les générations liront probablement globalement moins. L’activité sur les réseaux sociaux et l’accès à la télévision à la demande occupent davantage le temps. Le phénomène majeur de ces dernières années est l’essor des séries qui pour partie remplacent les livres. Il ne faut pas confondre lecture de livres et lecture tout court qui passe par une multitude d’autres moyens. L’Internet est un nouveau support où la lecture est sollicitée en permanence. La pratique de la lecture en général progresse. C’est donc surtout le support et la façon de lire qui change.

En revanche, les inégalités sociales restent énormes en matière de lecture. La part de non-lecteurs est trois fois plus importante chez les ouvriers et employés (47 %) que chez les cadres supérieurs (15 %). La lecture de livres décline dans tous les milieux sociaux, mais en quarante ans, la part de non-lecteurs a augmenté deux fois plus dans les classes moyennes et populaires que chez les cadres. Pour partie, la baisse de la lecture chez les cadres résulte de l’élargissement de la catégorie elle-même, qui occupe une part croissante des emplois. En haut de la hiérarchie sociale, le fait de lire ou pas classe sans doute davantage aujourd’hui qu’hier et deviendra probablement un élément croissant de la distinction dans les années qui viennent.

 

Notes:

  1. Voir Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Philippe Lombardo et Loup Wolff, coll. Culture études, ministère de la Culture, juillet 2020. Le ministère réalise des enquêtes sur le sujet environ tous les dix ans.