Espérance de vie longue périodeJusqu’où peut s’élever l’espérance de vie ? La question, dont on comprend facilement l’importance, occupe régulièrement le débat public. Elle a été relancée avec la médiatisation du courant dit « transhumaniste » qui voit dans l’usage des nouvelles technologies la façon de repousser les limites de l’espèce humaine, en augmentant ses capacités. Faut-il y voir seulement les lubies de nouveaux ultras-riches de la planète 4.0 en quête de nouvelles frontières pour dépenser leurs fortunes colossales, soit dans la conquête de l’espace, soit dans la transformation de l’espèce ?

Cette préoccupation est une constante, elle a été concomitante au développement des techniques. Les premiers vaccins ont permis à la fin du XIXe siècle de faire reculer les maladies et tout d’abord la variole. Par la suite, les antibiotiques ont joué un rôle majeur. Plus récemment, les progrès des traitements des maladies cardio-vasculaires ont aussi repoussé les limites de la vie.

La question des limites de la vie occupe de longue date les scientifiques et en particulier les démographes. A la fin des années 1920, on estimait que 64,7 ans était un maximum, dans les années 1950, on tablait sur 78 ans et à la fin des années 1980, la limite était fixée à 85 ans. A chaque fois, les plafonds ont été crevés. « Les évolutions de la longévité nous enseignent que si pendant longtemps on croyait à une limite biologique de la vie chez les humains, constante à travers les âges, il n’y a plus à supposer l’existence d’une limite de la durée de vie particulière » note la sociologue Helena Mascova1.

L’arbre de l’espérance de vie peut-il grimper jusqu’au ciel ? Au milieu du XVIIIe, la moitié des enfants mouraient avant d’avoir dix ans, rappelle l’Ined, et l’on n’aurait jamais imaginé pouvoir compter sur 90 ans de vie, ce qui est quasiment le cas aujourd’hui. Les démographes Jacques Vallin et France Meslé2 notent que les progrès les plus grands en matière d’espérance de vie ont été obtenus entre la fin du XIXe siècle et le début des années 1960. A partir de cette période, la progression est moins forte. Les observateurs les plus fins auront remarqué qu’au cours des dix dernières années (2008-2017), l’espérance de vie des femmes n’a gagné qu’un an, ce qui est deux fois moins qu’au cours des dix années précédentes (1998-2007).

L’annonce d’un plafond proche ? C’est possible. En attendant ce fléchissement semble surtout être le signe d’une égalisation des conditions entre les femmes et les hommes et du rapprochement en matière de mode de vie. L’écart en matière de consommation d’alcool et de tabac ou de conditions de travail notamment se réduit. Et on peut en mesurer l’impact sur l’écart d’espérance de vie entre les sexes depuis son maximum en France au début des années 1990. L’espérance de vie des hommes continue en revanche à augmenter au même rythme qu’auparavant.

Personne ne sait où peuvent s’arrêter les progrès de la vie. « Il est très probable que l’espérance de vie dépasse un jour 100 ans, mais il est déraisonnable d’affirmer que ce sera précisément le cas de telle ou telle génération déjà née », concluent les démographes. Pour que la durée de vie progresse, il faudrait obtenir davantage de progrès au grand âge et que ceux-ci soient partagés. Rien n’indique que les progrès scientifiques doivent s’interrompre, mais rien ne dit non plus qu’ils auront autant d’impact que la vaccination ou les antibiotiques et l’amélioration des conditions de vie au XXe siècle : une grande partie dépendra de leur diffusion.

L’illusion technologique stimule l’imaginaire, mais met en sourdine les autres facteurs structurels. La durée de vie dépend d’abord des conditions de la vie. Elle repose sur un ensemble de facteurs comme l’hygiène de vie, l’alimentation, la durée et les conditions du travail, l’environnement, l’éducation, le logement, etc. L’allongement de la vie est due de plus en plus à une bonne santé au grand âge, mais il s’agit moins de réparer des corps usés que de faire en sorte que ces corps le soient moins à un âge élevé. Les préoccupations croissantes autour de la qualité de l’alimentation auront-elles un impact demain ? Inversement, l’ampleur des rejets dans l’atmosphère liés à notre surconsommation va-t-elle déboucher sur davantage de maladies et notamment de cancers ? La dégradation constatée des conditions de travail pour les moins qualifiés, l’arrêt du long processus de diminution du temps de travail et la flexibilisation de la main d’œuvre vont aussi peser. L’allongement de la durée de cotisations pour la retraite de 37,5 ans à 41,5 ans voire davantage aura une répercussion sur la durée de vie. De manière opposée, l’innovation technologique allège la pénibilité physique au travail.

La durée de vie est déterminée par le fonctionnement global de notre société. L’Insee a montré récemment, avec des données inédites, l’impact du revenu en matière d’espérance de vie, notamment pour les couches populaires ou moyennes jusqu’à 2 500 euros mensuels. Se doter d’un confort minimum en termes de logement, pouvoir s’alimenter ou se chauffer correctement, varier ses activités, jouent aussi. Au total, il y a sans doute plus à attendre de la façon dont sera partagé le progrès, qu’il s’agisse d’éducation, de travail ou de revenus, que des inventions technologiques miraculeuses.

Ecart d'espérance de vie femmes hommes

espérance de vie et niveau de vie

 

Notes:

  1. Voir l’ouvrage « Allongement de la vie. Quels défis. Quelles politiques », sous la dir. d’Anne-Marie Guillemard et Elena Mascova, éditions La découverte, 2017
  2.  Voir « Espérance de vie : peut-on gagner trois mois indéfiniment ? », Jacques Vallin et France Meslé, Population et société, n°473, décembre 2010