Au CP, parmi les enfants d’ouvriers non-qualifiés 15 % figurent parmi les 10 % les plus faibles aux évaluations et 5,7 % parmi le dixième le plus fort, selon les données 2011 du ministère de l’éducation. Les chiffres sont de 2,9 % et 19 % pour les cadres supérieurs. Au CE2, 10 % des enfants d’ouvriers non-qualifiés ont déjà redoublé au moins une fois, contre 1,3 % des enfants d’enseignants, toujours selon le ministère de l’Education (enfants entrés en sixième en 2011). Comment peut-il exister un écart aussi important dès l’âge de six ans ? Ces nouvelles données appellent des explications.

Si l’on part de l’hypothèse que la réussite scolaire ne se transmet pas avec les gênes, ces résultats posent la question de la relation entre l’école et le milieu social des parents. Les familles n’ont pas les mêmes atouts en main : leurs ressources économiques (niveau de vie) et culturelles (diplôme) son inégales. Disposer par exemple d’un espace à soi pour faire ses devoirs compte dans la réussite scolaire. Mais l’essentiel passe par des canaux plus complexes, surtout pour les plus jeunes : la façon de parler, le vocabulaire, les loisirs, la capacité à expliquer à l’enfant ce que l’école attend de lui, l’aide aux devoirs plus ou moins formelle, etc. Au-delà, rien de tel pour réussir à l’école que de se sentir légitime à le faire, parce que ses parents y ont eux-aussi réussi. Le succès dépend en partie de l’osmose qui existe ou pas entre le milieu scolaire et le milieu familial. L’école doit faire avec des enfants de milieux eux-mêmes inégaux.

Ces facteurs n’expliquent pas tout. Les parents des catégories populaires savent d’expérience que l’école qu’ils ont fréquenté étant jeunes ne sera pas favorable à leurs enfants. Ces derniers le comprennent rapidement : ils anticipent rationnellement leur parcours en intériorisant l’échec. Ainsi par exemple, les enquêtes sur la réussite de enfants d’immigrés montrent que le parcours des parents joue : à niveau social équivalent ces derniers réussissent mieux, notamment parce que leurs parents n’ont pas été mis en échec par le système scolaire.

La façon dont l’école est faite a aussi son importance. Prenons un exemple. La France est l’un des pays où l’apprentissage de la lecture est le plus précoce. Pour apprendre à lire, il faut un certain niveau de vocabulaire. Plus on commence tôt cet apprentissage, moins les enfants des milieux populaires maîtrisent un nombre de mots suffisants, et plus ils ont de risques d’être mis en échec1. Commencer tôt la lecture n’a aucun intérêt particulier pour les enfants : la Finlande combine un apprentissage tardif de la lecture (vers 7 ans), de faibles inégalités sociales et un niveau scolaire très élevé. Au-delà, le système français se caractérise par son académisme et surtout son aspect concurrentiel : on y note beaucoup pour trier les meilleurs élèves et les jeunes y sont plus anxieux qu’ailleurs. Dès la petite enfance, la compétition favorise celui qui a le plus d’assurance. L’orientation, elle, est inégale selon les milieux : à niveau équivalent en troisième, les enfants n’ont pas le même avenir selon leur origine.

Les écarts entre milieux ne sont pas mécaniques. Selon le ministère, 90 % des enfants d’ouvriers non qualifiés n’ont pas redoublé. Un tiers des enfants de ce milieu entrés en CP en 1978 avaient redoublé au moins une fois en CE2, trois fois plus qu’aujourd’hui et à l’époque le rapport avec les enfants d’enseignants était de un à dix (2,5 % de redoublants). Entre 1997 et 2011, la part d’enfants d’ouvriers non-qualifiés qui se situaient parmi les 10 % les plus faibles est passée de 22 à 15 %. Par ailleurs, tous les enfants issus de milieux favorisés ne réussissent pas, et pour ceux qui échouent la dégringolade est souvent cinglante, compte tenu des attentes qui portent sur leurs épaules.

Dans quelle mesure l’école peut contrebalancer les inégalités sociales ? L’école française n’augmente pas les écarts, contrairement à ce que l’on peut souvent lire. Il suffit pour s’en convaincre d’imaginer le niveau des inégalités sans système éducatif public. En revanche, un grand nombre d’études montrent qu’elle ne fait pas ce qui est en son possible pour réduire les disparités et que sa plus grande proximité avec la culture des milieux diplômés qu’ailleurs est un handicap important dans la réussite des milieux populaires.

 

Notes:

  1. La pression mise à apprendre à lire le plus tôt possible dans les milieux favorisés met hors jeu rapidement les autres enfants.