Le taux d’emploi est rarement commenté dans le débat public, contrairement à son cousin, le taux de chômage. Le premier rapporte la population en emploi à la population totale d’un âge donné, alors que le second compare le nombre de demandeurs d’emploi aux seuls actifs. Le taux d’emploi mesure donc la part de personnes occupées dans l’ensemble de la population, qu’elle soit active ou non. C’est un indicateur structurel de la capacité d’une société à procurer un travail à la population d’un âge donné. Il permet notamment de prendre en compte des personnes inactives parce que découragées des mauvaises conditions d’emploi et qui ne figurent pas dans le taux de chômage.

Le taux d’emploi en France est d’une très grande stabilité. Depuis trente ans, il se situe à 81 % chez les 25-49 ans. Cela veut dire que la place du travail rémunéré a en réalité très peu varié dans notre société depuis les années 1970. Chez les 15-64 ans, ce taux a d’abord diminué, de 66 % en 1975 à 61 % au milieu des années 1990, puis il est ensuite remonté jusqu’à 67 % en 2021. Mais ces variations faibles sont les conséquences de facteurs démographiques qui jouent parfois en sens contraire.

Entre 1975 et 1995, le taux d’emploi des plus jeunes, les 15-24 ans, diminue très fortement, de 54 % à 30 %. Une bonne nouvelle : elle est liée à un effort massif dans le domaine de l’éducation et à l’allongement des scolarités : si les jeunes ne sont pas en emploi, c’est qu’ils sont à l’école. Ainsi, la mesure du taux d’emploi chez les 15-64 ans cité plus haut n’a en fait qu’un intérêt assez limité : l’intervalle d’âge est trop large, car, en France la quasi-totalité des jeunes sont scolarisés jusqu’à 18 ans. À partir des années 1980, le taux d’emploi des 50-64 ans fléchit. De 58 % en 1980, il tombe à 44 % au début des années 1990 : on essaie alors de réduire le chômage par ce qu’on appelle « des mesures d’âge » consistant à financer un départ à la retraite précoce pour libérer des postes. La remontée de ce taux à partir du milieu des années 1990 – il atteint désormais 65 % en 2021 – est l’une des grandes évolutions de notre société. Elle résulte de deux grands phénomènes : la fin de la politique de départs anticipés et l’élévation de l’âge de la retraite, mais surtout l’élévation du taux d’activité des femmes de cet âge, qui au cours de la même période passe de 37 % à 63 % : la prolongation d’un mouvement de long terme de travail rémunéré féminin, amorcé dès les années 1970 chez les générations les plus anciennes.

La stabilité du taux d’emploi des 25-49 ans cache une autre évolution majeure de la société : le rééquilibrage des rôles entre les femmes et les hommes. Au milieu des années 1970, le taux d’emploi chez les 25-49 ans était de 95 % chez les hommes et de 58 % chez les femmes, soit 36 points d’écart. Cinquante années plus tard, les taux sont respectivement de 86 % et 78 %, 8 points d’écart. Nous sommes encore loin de l’égalité, mais le rapprochement est net. On notera d’abord que le taux d’emploi des hommes diminue. À l’âge de la pleine activité, 14 % des hommes ne sont pas en emploi, soit au chômage, soit hors du marché du travail. Par ailleurs, depuis dix ans, l’écart entre les femmes et les hommes ne se réduit plus, comme si un maximum avait été atteint.

En fin de compte, la capacité de notre société à fournir un emploi à la population en plein âge de travailler a peu évolué au cours des cinquante dernières années. Mais cette évolution s’est faite au prix d’une augmentation de la précarité des emplois et du développement d’emplois peu qualifiés : le nombre d’emplois a suivi l’évolution de la population, mais leur qualité s’est détériorée.

À l’avenir, la hausse pour les plus de soixante ans devrait se poursuivre du fait du déséquilibre du régime des retraites, qui pousse à l’élévation de l’âge de départ. Reste que travailler jusqu’à 65 ans n’est pas envisageable pour beaucoup de métiers pénibles et souvent mal-rémunérés : des tensions sont à prévoir et le plus juste serait de raisonner en années de cotisation. Chez les plus jeunes, la reprise de l’allongement des études dans les années récentes – à partir de 2010 – n’est pas encore visible dans les statistiques : le taux d’emploi reste stable. À long terme, il est probable que la période de formation dure plus longtemps, en cohérence avec l’élévation des qualifications sur le marché du travail et l’allongement de la vie. Enfin, les données récentes sur le taux d’emploi des femmes interrogent. S’agit-il d’une pause dans un mouvement d’égalisation ou un plafonnement durable ? Entre 25 et 49 ans, la différence entre hommes et femmes résulte de la présence des enfants. Ce sont encore massivement les femmes qui mettent leur carrière entre parenthèse, notamment pour les familles de plus de deux enfants. Ce qui ne semble pas près de changer.