L’abstention a atteint 52,3 % au premier tour des élections législatives de 2022, niveau similaire à celui du scrutin de 2017. Elle avait atteint 25 % au premier tour de l’élection présidentielle, niveau inférieur au record de 2002 (28 %), mais nettement supérieur à la moyenne de la Ve République (20 %). Quand on passe en revue la participation à l’ensemble des différents scrutins au suffrage universel de notre pays depuis le début de la Ve République, on obtient une image plus nuancée que la thèse d’une inexorable désaffection vis-à-vis du vote qui est souvent avancée : la progression n’est ni générale, ni inexorable.

À l’élection présidentielle, la seule qui compte réellement au niveau national, la participation reste massive et on ne constate pas de mouvement linéaire de diminution. Elle est supérieure à la plupart des grands pays occidentaux. Par ailleurs, même si elle demeure élevée, on constate une diminution de l’abstention aux élections européennes : le taux a baissé de dix points entre 2009 (59,4 %) et 2019 (49,9 %).

La participation diminue en revanche aux autres élections. Avec 52,3 %, l’abstention a atteint un nouveau record au premier tour du scrutin des législatives de 2022, même si sa progression a été modeste comparé à ce qui a été enregistré depuis la fin des années 1990. Dans les années 1970, la participation à ce type de scrutin était supérieure à 80 %. L’abstention a ensuite progressé de façon régulière, pour dépasser la moitié des inscrits, niveau habituellement réservé aux élections départementales ou régionales.

L’abstention progresse aussi aux élections locales. En mars 2020, dans un contexte particulier d’épidémie, elle avait atteint le niveau record de 55,36 %, 20 points de plus qu’en 2014. Au début des années 1980, elle n’était que de 20-25 %. L’abstention a aussi augmenté de manière spectaculaire au premier tour des élections départementales et régionales : seul un électeur sur trois s’est déplacé contre un sur deux lors des scrutins qui ont eu lieu simultanément en 2021. La participation diminue à ce type d’élections depuis les années 1990 pour les régionales et 2010 pour les départementales. En 2021, l’épidémie de coronavirus avait limité la communication électorale et conduit une partie de la population à rester chez elle. Le couplage de deux élections simultanées n’a rien arrangé : les élections départementales ont été ignorées des médias.

Plusieurs facteurs expliquent ces évolutions. Les Français s’abstiennent peu pour l’élection présidentielle, celle qui compte en France et qui est ultra-médiatisée. Quand l’enjeu politique est fort, la mobilisation l’est aussi. Si on pouvait retirer tous ceux qui en ont été empêchés involontairement (maladie, problème administratif, déménagement, électeurs très âgés, etc.), l’abstention choisie serait alors extrêmement faible pour ce scrutin. Les législatives sont devenues un vote de second rang : c’est l’élection du Président qui constitue le choix politique majeur dans la Ve République. L’abstention à ce scrutin reflète la présidentialisation de notre régime politique, en particulier depuis 2002 avec l’instauration du quinquennat.

D’autres facteurs interviennent. Du côté de l’offre politique, les programmes des partis traditionnels majoritaires se sont rapprochés dans les années 1980-1990. L’importance de l’alternance est devenue moins évidente, ce qui réduit l’enjeu du vote. Cela a pu faire baisser la participation et favoriser la montée des partis extrêmes, qui ont à leur tour réintroduit une dose d’enjeu politique qui maintient la participation à l’élection présidentielle. Les recompositions politiques en cours, entraînées par l’arrivée de La République En Marche et le déclin des deux piliers majoritaires que sont Les Républicains et le Parti socialiste, ajoutent de la confusion dans l’esprit de certains électeurs.

La situation économique et sociale joue. Une partie de la population, souvent la moins diplômée, a le sentiment que son vote n’aura pas d’effet sur sa situation et que les élus ne s’intéressent pas à son sort. Ne pas voter constitue alors une forme de protestation. Ainsi, 25 % des non-diplômés se sont abstenus à tous les scrutins de 2017 (présidentielle et législatives) contre 8,2 % des détenteurs d’un diplôme supérieur au bac, selon l’Insee. 81 % des retraités et 74 % des cadres supérieurs ont voté au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, contre 67 % des ouvriers, selon un sondage Ipsos réalisé auprès de 4 000 personnes.

Le traitement médiatique de la vie politique n’engage pas à se déplacer pour voter. Il met en scène une compétition à travers les conflits internes aux partis, les stratégies d’alliance et la diffusion des enquêtes d’opinion. Les enjeux de fond se résument à un ou deux thèmes médiatiques produits par ces sondages. L’élection elle-même est présentée comme une compétition sportive, rythmée par une frénésie des sondages qui à chaque soir du vote se révèlent faux. La politique devient un « show », ce qui aboutit à une prise de distance. Seule l’élection présidentielle intéresse réellement les journalistes qui, à peine le scrutin passé, ont le regard tourné vers le suivant et commencent à sonder les candidats potentiels.

Le lien à la mobilisation politique n’est en rien rompu en France. Les électeurs continuent de voter aux élections à enjeux comme la présidentielle. Les enquêtes sur les valeurs montrent depuis longtemps que les citoyens utilisent de plus en plus d’autres formes de mobilisation : pétitions, manifestations, boycotts1. La question fondamentale est celle du décalage entre l’offre politique (les programmes, les candidats) et la demande, notamment celle des catégories populaires qui représentent la moitié des électeurs.

Notes:

  1. Voir par exemple « Participation électorale, participation critique et démocratie participative », Raul Magnin Berton, in La France à travers ses valeurs, sous la dir. de Pierre Bréchon et Jean-François Tchernia, Armand Colin, 2009.