Les inégalités de niveaux de vie semblent en voie de stabilisation en France, si l’on en croit les données de l’Insee. L’indice de Gini, qui mesure l’écart entre une situation d’égale répartition des revenus et la situation réelle1, est en 2020 à son niveau du milieu des années 20002. Même tendance pour le ratio de Palma, qui rapporte la masse globale des revenus que reçoivent les 10 % les plus riches à celle des 40 % les plus pauvres, qui s’établit à 1,043. Il est même revenu à son niveau de 1999.
Une réouverture des inégalités de revenus s’est amorcée vers la fin des années 1990 et surtout au début des années 2000, avant même la crise de 2008. Après des décennies de diminution (1970-1980), les inégalités de niveaux de vie ont commencé à augmenter. D’abord par en raison de l’envolée des revenus des catégories aisées, puis à cause de la stagnation du niveau de vie des catégories moyennes et populaires. Mais depuis 2005, hormis le pic de 2010-2012, les évolutions demeurent limitées. Le mouvement semble enrayé : les inégalités de revenus, globalement, ne progressent plus.
Dans les années récentes, les mesures très favorables aux plus aisés, prises en 2017, ont ensuite été compensées notamment par le soutien aux bas revenus en 2019 – hausse de la prime d’activité – obtenu suite aux manifestations des gilets jaunes puis par les mesures prises pour compenser les effets de la crise sanitaire. Par ailleurs, le chômage diminue depuis 2016, ce qui profite aux bas revenus.
Cette tendance générale appelle plusieurs nuances. La forte hausse des inégalités des années 1990 n’est pas effacée, tant s’en faut. Si on ne prend pas en compte l’année 2020, pour laquelle l’Insee estime que les données sont sujettes à caution, le niveau des écarts demeure plus élevé qu’à cette période. Plus que les variations de court terme, ce qui frappe c’est l’inversion de tendance longue : dans les années 1970 et 1980, les niveaux de vie se rapprochaient, ce n’est plus le cas depuis une trentaine d’années. La « convergence des classes » (de revenus au moins) est une période révolue. Enfin, ces données très globales peuvent masquer la situation d’une partie des plus pauvres qui n’apparaissent pas dans les données de l’Insee (lire notre article). Même chose pour la situation du sommet de la distribution des revenus, dont le poids dans la distribution des revenus est trop faible pour faire varier des indices aussi généraux.
Et demain ?
Les données les plus récentes publiées en France datent de 2020. Le « quoi qu’il en coûte » du président de la République a évité une réouverture des écarts de revenus, mais désormais tous les regards sont tournés vers l’indice des prix. Dans un contexte d’inflation, tous ceux dont les revenus ne suivront pas perdront beaucoup. Notamment les employés des entreprises en situation très concurrentielles et de petite taille, ou les travailleurs indépendants qui ne pourront pas augmenter leurs prix. Même si cela restera invisible dans les données sur les revenus, établies à partir d’un indice des prix général à la consommation, les ménages fortement dépendants de l’automobile ou dont le logement est mal isolé seront eux aussi pénalisés.
À l’avenir, la stabilisation relative des inégalités de revenus de ces cinq dernières années ne sera qu’une parenthèse si la baisse du chômage ne débouche pas sur une amélioration de la qualité des emplois. Une diminution du chômage n’est pas incompatible avec une progression des inégalités si le travail n’est pas rémunérateur. Il faut noter que les chiffres du chômage ne comprennent pas une partie d’actifs potentiels qui avaient baissé les bras au vu des conditions d’emploi, mais qui pourraient revenir sur le marché du travail. Inversement, une amélioration durable assortie de garanties de hausses des salaires et de réduction de la précarité pourrait effacer assez vite les effets de la progression des inégalités constatée entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000. Ce qui serait une bonne nouvelle pour la société française.

Mise à jour du 20 octobre 2022.
Notes:
- Plus il est proche de 1, plus les revenus sont inégalement répartis, plus il est proche de 0, plus ils sont également distribués. ↩
- . Les données 2020 sont publiées mais non validées par l’Insee du fait des difficultés causées par le confinement. Elles sont à prendre avec précaution. Toutes les données de cet article s’entendent après impôts et redistribution. ↩
- . Autrement dit, les 10 % du haut de l’échelle reçoivent un peu plus que l’ensemble des 40 % du bas de l’échelle réunis. ↩