La Réunion est le département le plus inégalitaire de France et la Martinique arrive en troisième position – juste après Paris -, selon les données sur les revenus fiscaux 2011 de l’Insee. Le plus souvent, les départements d’Outre-mer 1 sont oubliés des classements, alors qu’il y règne des écarts de revenus considérables. A La Réunion, l’indice de Gini (plus il est proche de 1 plus les inégalités sont fortes) atteint 0,53 davantage que Paris (0,50), département le plus inégalitaire de métropole. En Martinique, il s’élève à 0,47, plus que dans les Hauts-de-Seine (0,43). Et encore, dans 90 % des départements de métropole, cet indice est inférieur à 0,38.

Les inégalités sont si fortes parce que ces deux départements sont, de très loin, les plus pauvres de France, Mayotte et la Guyane excepté. Le revenu fiscal médian (la moitié de la population a un revenu inférieur, l’autre supérieur) atteint 880 euros mensuels à La Réunion et 1 100 euros en Martinique, nettement moins que pour les territoires de métropole où le revenu médian est le plus bas, la Seine-Saint-Denis (1 270 euros) et le Pas-de-Calais (1 350 euros)2.

Les plus pauvres des Dom sont très loin d’avoir les niveaux de vie des plus pauvres de métropole. Le seuil des 20 % les plus pauvres3 est de 242 euros mensuels à La Réunion et de 413 euros en Martinique (toujours avant prestations sociales), contre 585 euros en Seine-Saint-Denis et 712 euros en Haute-Corse, les deux départements de métropole où les bas revenus sont les plus faibles. Il faut bien mesurer ce que signifient ces données : en Martinique comme à La Réunion, hors prestations, un cinquième de la population dispose de revenus insuffisants pour vivre. Un phénomène d’autant plus grave que le coût de la vie est plus élevé qu’en métropole, de 17 % en Martinique et de 12 % à La Réunion, selon les estimations 2010 de l'Insee4.

La pauvreté n’explique pas tout. Les données de l’Insee montrent que les plus aisés des Dom ont des revenus très élevés. A la Martinique comme à La Réunion, la frontière des 10 % les plus riches se situe à environ 2 900 euros mensuels minimum 5. Comparé au classement des départements de métropole, 2 900 euros se situe autour du 40ème rang. Un niveau comparable aux départements du Nord, de la Drôme ou de la Haute-Vienne.

Et les communes ?

Si l’on observe la situation au niveau des communes, les écarts sont encore plus grands. Trois villes de La Réunion occupent les trois premières  places du classement des inégalités (parmi les communes des deux départements) : Saint –Benoit, Saint-Pierre et Saint-Denis, avec un indice de Gini supérieur à 0,53, au même niveau que la ville la plus inégalitaire de France, Neuilly-sur-Seine…

Les dix villes où le revenu médian est le plus bas sont dix villes situées à La Réunion, avec moins de 800 euros mensuel, bien moins que le seuil de pauvreté à 60 % de notre pays (964 euros, mais après prestations sociales). Dans une ville comme Saint-Louis de La Réunion – qui au passage compte plus de 50 000 habitants – la moitié de la population vit avec moins de 680 euros. A Sainte-Rose de La Réunion (7 000 habitants) , le revenu fiscal médian atteint 580 euros, soit 60 % de l’équivalent du seuil de pauvreté national… Même en ajoutant des prestations sociales, il est très probable que le taux de pauvreté soit compris entre 30 et 40 % dans de très nombreuses communes de la Martinique et de La Réunion, confirmant d’ailleurs nos estimations pour Saint-Denis (36 %), Saint-Paul (39 %) et Saint-Pierre (46 %) pour l’année 2009. Dans une publication récente, l’Insee indique que le taux de pauvreté atteint 42 % en 2010 à La Réunion6.

Dans 17 villes sur les 51 que compte notre classement, le seuil des 20 % les plus pauvres est inférieur à 300 euros, l’équivalent de 30 % du seuil de pauvreté. A Saint-Benoît et Le Port (La Réunion), 20 % de la population vit avec moins de 60 euros mensuels, hors prestations sociales. Dans les villes les plus « riches », en Martinique, que sont Case-Pilote et Schoelcher, 20 % de la population vit avec moins de 720 euros par mois…

Mais comme l’ont montré les données départementales, les catégories aisées vivent bien dans une grande partie des villes de Martinique et de La Réunion. Dans une partie des communes les plus pauvres, le seuil des 10 % les plus aisés est relativement peu élevé, autour de 1700 euros à Salazie, Saint-Rose ou Saint-Philippe (toutes situées à La Réunion). Mais dans les localités les plus riches, et notamment en Martinique, les ménages les plus aisés disposent de très confortables revenus. Ainsi à Schoelcher, aux Trois-Ilêts ou à Case-Pilote (Martinique), le seuil des 10 % les plus riches s’élève à 3 750 euros ou plus7, niveau qui correspond à la moyenne de l’Essonne ou du Val-de-Marne, comparable à la situation des couches aisées de villes de métropole comme Nancy, Cannes ou Bordeaux. Dans une ville importante comme Saint-Denis de la Réunion (145 000 habitants, 19ème ville de France), les 10 % les plus aisés vivent avec au moins 3 450 euros par mois, soit davantage qu’à Rennes (3 420 euros)…

Ces chiffres nous enseignent finalement deux choses. Les populations de Martinique et de la Réunion sont particulièrement pauvres. On peut étendre ce jugement à l’ensemble des Dom : la Guadeloupe est plus proche de la Martinique, la Guyane et Mayotte encore plus pauvres que la Réunion (voir des données 2006). Bien sûr, prendre en compte les prestations sociales, les impôts et le travail non-déclaré amènerait à nuancer nos conclusions, mais ne modifierait pas le sens de l’analyse.

La pauvreté n’est pas généralisée. Une partie de la population des Dom dispose de revenus très élevés, au niveau des catégories équivalentes de la plupart des villes de métropole. Les inégalités salariales sont fortes dans le secteur privé, et dans la fonction publique les traitements majorés de 40 % (53 % à la Réunion). La suppression en mai 2013 du revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA, qui pouvait procurer une augmentation de 10 % des bas salaires) va accroître les écarts.

Les raisons des difficultés économiques et sociales de ces territoires sont nombreuses, notamment liées au faible niveau d’éducation d’une grande partie de la population. Le fait qu’une partie réduite de la population s’accapare une grande proportion des richesses est aussi l’un des facteurs qui ruine leur développement économique et social.

Notre méthode Nous avons utilisé les données de l’Insee sur les revenus fiscaux 2011 par unité de consommation (l’équivalent d’une personne seule), les seules disponibles pour cette année de façon détaillées pour la Réunion et la Martinique. Ces données ne prennent pas en compte les impôts payés et les prestations sociales. Elles tendent donc à exagérer les écarts réels de niveau de vie : pour l’année 2010, le revenu fiscal médian par unité de consommation est de 880 euros à La Réunion, mais le niveau de vie – compte tenu des prestations et des impôts directs – est de 1070 euros. En France métropolitaine, le revenu médian ne change pas avant et après prestations et impôts directs, il est de 1 600 euros pour l’année 2010. Par définition, ces chiffres ne tiennent pas compte des revenus non-déclarés par les ménages dont la part peut être non négligeable pour les plus démunis, notamment dans les Dom. Ils ne portent pas sur les trois autres Dom : la Guadeloupe, la Guyane française et Mayotte, pour lesquels l’Insee ne diffuse pas de données récentes et par commune. Nos données ne prennent en compte que les 51 communes de Martinique et de La Réunion pour lesquelles l’Insee diffuse des données détaillées. L’indice de Gini est un indice qui mesure l’écart de la distribution réelle des revenus avec une situation d’égalité. Il est compris entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité parfaite). Nous présentons des données limites : les frontières des 10, des 20, des 50 % les plus pauvres, et de 10 % les plus riches.

Télécharger les données sur l'ensemble des villes

Notes:

  1. L’Insee ne diffuse pas de données détaillées pour la Guadeloupe, Mayotte et la Guyane.
  2. Données avant impôts directs et prestations sociales, voir note méthodologique.
  3. 20 % de la population touche moins. Les statisticiens parlent de 2ème décile
  4. Pour plus de détails sur la pauvreté à La Réunion, lire aussi : "Indicateurs sociaux départementaux : une situation hors-norme", Insee Partenaires n°25, Insee, août 2013.
  5. Il s’agit bien d’une frontière – le 9ème décile – et non de la moyenne de cette tranche. Parmi ces 10 %, certains touchent des revenus beaucoup plus conséquents.
  6. Voir « Les niveaux de vie en 2010 », Insee partenaires n°23, Insee Réunion-Mayotte, juillet 2013. L’Insee indique que les niveaux de vie ont progressé de 10 % entre 2007 et 2010 à La Réunion.
  7. Impôts non compris.