Combien de personnes renoncent à se soigner faute d’argent ? Les données divergent beaucoup. Selon l’enquête de l’Insee « Statistiques sur les ressources et conditions de vie », 0,8 % des personnes interrogées disent avoir renoncé à un examen ou à un traitement médical faute d’argent au cours des douze derniers mois et 2,7 % à un traitement dentaire, soit 3,5 % au total (données 2017 pour les 16 ans et plus). Chez les 20 % les plus modestes, les proportions sont respectivement de 1,8 % et 5,7 %, soit 6,5 % au total. Dans la même enquête, le niveau de renoncement aux soins était estimé à 10 % pour l’ensemble de la population vingt ans plus tôt, à la fin des années 2000. L’extension de la couverture maladie complémentaire a amélioré sans nul doute le recours aux soins, mais l’ampleur de la baisse interroge.

Une seconde étude porte sur le même sujet : l’enquête Santé et protection sociale, publiée en 2017, constitue un vaste diagnostic santé mené tous les deux ans par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes). Elle aboutit à un taux de renoncement déclaré pour raisons financières sur 12 mois de 17 % pour les soins dentaires chez les 18 ans et plus en 2014, 10 % pour l’optique, 5 % pour les médecins généralistes et 4,5 % pour les autres types de soins. Enfin, selon le baromètre annuel d’opinion du ministère des Affaires sociales, 20 % des Français ont renoncé à aller chez le dentiste en 2014, dont la moitié faute d’argent. Les années des données ne sont pas identiques et la formulation des questions peut aboutir à des réponses très différentes1, mais l’ampleur de l’écart entre ces trois sources mériterait au moins une explication. De 2,7 % à 17 % en passant par 10 % pour le renoncement aux seuls soins dentaires, il s’agirait de s’entendre.

Seule l’enquête de l’Irdes permet d’en savoir plus sur qui, concrètement, renonce à des soins faute d’argent. Elle montre tout d’abord que près de la moitié (45,9 %) des cas de renoncement est liée aux soins dentaires, particulièrement chers et mal remboursés, même par les couvertures complémentaires. L’optique en représente plus du quart. C’est beaucoup moins pour l’accès au médecin (14 % des motifs de renoncement qui joue).

Qui indique renoncer à aller chez le dentiste faute d’argent ? Logiquement, les plus pauvres : le taux de renoncement atteint 28 % parmi les 20 % les plus démunis. On notera que 7,5 % des 20 % les plus aisés sont dans ce cas, ce qui là encore mériterait une explication. Une partie de la population, favorisée, dit renoncer aux soins faute d’argent alors qu’elle en a les moyens. Visiblement, elle ne renonce pas à cause de son revenu mais parce qu’elle trouve le coût trop élevé ce qui n’est pas la même chose. Logiquement, le taux de renoncement est très supérieur dans les catégories populaires : il dépasse 20 % chez les ouvriers et les employés (même 27 % chez les employés du commerce, souvent des femmes, vendeuses ou caissières). Enfin, on s’en doute, le fait d’avoir une couverture maladie est le facteur essentiel puisque le taux de renoncement aux soins monte à 40 % pour ceux qui en sont dépourvus.

Il faut considérer ces données, déclaratives, avec précaution. La part de la population qui renonce à se soigner faute d’argent a fortement diminué et n’a rien à voir à ce que notre pays a pu connaître il y quelques décennies. Les mesures dites « reste à charge zéro », prises en vue de l’amélioration des remboursements pour le dentaire et l’optique, vont réduire encore l’effet du niveau de vie dans le renoncement aux soins. Pour partie, le problème se déplace vers d’autres facteurs : l’éloignement géographique, le sexe, l’offre locale, etc. (voir notre article). Cela ne signifie pas que l’argent ne compte plus en matière de santé. Même s’il ne restait que 5 % de Français dans ce cas, cela représenterait tout de même trois millions de mal soignés à cause de leurs revenus. Une partie de la population, la plus pauvre, reste mal couverte. De manière plus large, le renoncement persiste en ce qui concerne les soins très coûteux qui demeurent mal remboursés ainsi que l’accès aux médecins qui pratiquent des dépassements d’honoraires. Tous les malades n’ont pas accès aux mêmes médecins et doivent parfois attendre plusieurs mois pour être soignés. L’accès aux soins progresse mais une médecine à deux vitesses existe toujours en France.

Notes:

  1. Voir « Renoncement aux soins pour raisons financières », Dossiers Solidarité et Santé, n°66, juillet 2015.