Les dernières projections de population de l’Insee livrent une information importante : pour la première fois, on entrevoit à un horizon relativement proche la possibilité d’une stabilisation du nombre de ménages dans notre pays. En effet, si l’hypothèse basse de population se confirmait, le nombre de ménages se stabiliserait à un peu moins de 33 millions à la fin des années 2030, ce qui n’est pas si lointain. Qu’est-ce que cela signifie ? En quoi c’est important ?

Un ménage, pour l’Insee, c’est une unité de vie dans un logement, qu’il s’agisse d’une personne seule ou d’une famille de six personnes, par exemple. Aujourd’hui, parmi les raisons du mal-logement et de l’ampleur de la demande de logements, il y a le fait que chaque année, il faut loger 200 000 ménages de plus. Entre 2013 et 2023, leur nombre a augmenté de deux millions, autant d’appartements ou de maisons à construire1 si l’on veut que tout le monde ait un toit.

La hausse du nombre de ménages, comme le note l’Insee, dépend de trois principaux facteurs2. Le premier, c’est notre démographie : plus la population est importante, plus il faut de logements (à taille de ménage constante). Le deuxième, c’est la structure par âge : une population qui vieillit a besoin là aussi de davantage de logements, car les ménages sont de plus petite taille, souvent une ou deux personnes. Enfin, le troisième est lié au mode de cohabitation : si les enfants restent longtemps avec leurs parents par exemple, le besoin en logements est moindre.

Depuis la fin des années 1960, la taille des ménages n’a cessé de diminuer pour passer de trois personnes à un peu plus de deux en moyenne. On fait moins d’enfants, les jeunes adultes restent plus longtemps célibataires avant de reformer un couple, on a plus de ménages âgés de petite taille, d’une ou de deux personnes. Globalement, c’est surtout la part de personnes vivant seules qui a progressé, de 20 % des ménages dans les années 1960 à 37 % aujourd’hui. Pour l’Insee, tous les moteurs devraient tourner au ralenti à l’avenir (sauf dans son scénario élevé) : l’effet de la croissance démographique va se réduire, de même que celui du vieillissement et de l’évolution des modes de cohabitation.

Autant de facteurs en jeu qui font que les incertitudes demeurent grandes. Mais l’hypothèse basse n’est pas à écarter. De longue date, la fécondité française ralentit : en moyenne, les femmes françaises ont deux enfants à leur fin de vie féconde et personne n’imagine un nouveau baby-boom. Les données sur l’immigration sont incertaines, mais là non plus une arrivée massive semble pour le moins improbable. Globalement, la stabilisation du nombre de ménages serait assez concomitante avec celle de la population. Le comportement des jeunes adultes est difficile à prévoir, mais il est possible que la période de vie en solo se stabilise. On note déjà depuis les années 2000 une décohabitation (le départ du foyer familial) plus tardive des jeunes.

L’amélioration du marché du travail, si elle se poursuivait, pourrait faire que l’on retarde moins le fait de fonder un couple et vivre à deux. Le couple reste en effet largement la norme. Enfin, le vieillissement devrait se ralentir à la fin des années 2030 quand les générations moins nombreuses de l’après baby-boom – nées à partir du milieu des années 1960, décèderont. Beaucoup dépendra de l’espérance de vie dont les progrès paraissent aussi ralentir. Une incertitude porte aussi sur les ruptures : un couple séparé qui se sépare a besoin, au moins un temps, de deux logements. Il est possible que l’on finisse par atteindre une forme de stabilisation. Non pas que l’on revienne au couple stable antérieur, mais simplement que l’on atteigne un maximum en ce qui concerne les séparations.

La stabilisation du nombre de ménages serait plutôt une bonne nouvelle dans le domaine du logement, en réduisant la demande globale. Du point de vue de l’environnement, cela économiserait aussi des ressources, notamment en matière d’artificialisation des sols. Reste plusieurs bémols. Dans son scénario central (non l’hypothèse basse) l’Insee situe plutôt à 2050 la stabilisation (34 millions de ménages) et dans l’hypothèse haute ce nombre continue à augmenter (presque 36 millions de ménages, toujours en progression). Une stabilité du nombre de ménages pourrait alléger les besoins, mais ne règlerait pas le problème du logement. Le phénomène joue aussi en sens inverse : une amélioration de l’offre a aussi un effet, à son tour, sur le nombre de ménages : par exemple, en favorisant le départ des jeunes de chez leurs parents. Quand bien même il y aurait un toit pour tous, des investissements énormes restent à faire pour que chacun vive dans un logement de qualité (assez d’espace et de confort) et que les habitations soient beaucoup plus économes en énergie.

Photo : Sandy Milar/unspash.com

Notes:

  1. Même si on peut diviser certains logements.
  2. « De 2 à 6 millions de ménages supplémentaires en France entre 2018 et 2050 », Insee focus n°317, Insee, janvier 2024. Voir aussi Projection du nombre de ménages à l’horizon 2030 et 2050, Document de travail du Commissariat général au développement durable, décembre 2023.